
Prendre la voie des airs et dépasser les voitures jouant à touche-touche sur des kilomètres : voici bien le rêve de tout voyageur excédé par un embouteillage sans fin. Plusieurs grands noms de l’aéronautique, et non des moindres puisqu’il s’agit de Boeing et d’Airbus, envisagent sérieusement de transformer ce songe en réalité. Et ce, sans attendre le XXIIe siècle, mais à partir de 2020-2030. Presque demain en somme.
S’il avoue ne pas compter parmi “les fans de Star Wars”, Tom Enders, le PDG d’Airbus, estimait en décembre 2016 que “dans un avenir pas si lointain, nous utiliserons nos smartphones pour réserver un taxi volant entièrement automatisé qui atterrira devant notre porte d’entrée, sans aucun pilote.” Cette prophétie prend, chaque mois qui passe, une tournure plus tangible. Conçu par la firme allemande Volocopter, le premier de ces taxis en version Aladin a été testé dans le ciel de Dubai en septembre dernier. Propulsé par 18 rotors alimentés par des batteries lithium-ion, le Volocopter 2X a une autonomie de 27 kilomètres et pourrait à terme emporter deux personnes à une vitesse de 100 km/h.
Drones-taxis
Le futur du transport urbain s’inscrit-il dans une troisième dimension ? Plusieurs start-up sont prêtes à relever le pari. Si Volocopter a reçu en août le soutien financier du constructeur Daimler, d’autres sont sur les rangs pour développer des e-VTOL, des aéronefs électriques à décollage et atterrissage verticaux. Lilium a par exemple conçu un mini-jet qui peut atteindre les 300 km/h sur 300 km, soit des caractéristiques assez proches du S2, imaginé par la société américaine Joby Aviation. De son côté, le Chinois Ehang, spécialiste des drones de loisir, planifie pour bientôt le test de son drone taxi Ehang 184. Porté par Larry Page, cofondateur de Google, Zee Aero annonce également le développement d’un moyen de transport révolutionnaire, tandis que se murmurent aussi des envies d’envol du côté d’Elon Musk, le patron de Tesla.
Voyant leur pré carré attaqué, les poids lourds de l’aéronautique ne restent pas les bras croisés. Boeing a acquis début novembre Aurora Flight Sciences qui planche sur plusieurs projets d’avions innovants. Le marché s’annonce lucratif si l’on en croit son concurrent Airbus : “Nous pensons que la demande mondiale peut soutenir des flottes de millions de véhicules dans le monde entier”, estime Rodin Lyasoff, PDG de A³, le centre d’innovation technologique de l’avionneur basé dans la Silicon Valley. Taxi volant CityAirbus pour quatre passagers – qui devrait être testé fin 2018 –, aéronef individuel Vahana ou encore Pop.UP, un concept hybride, tantôt voiture-tantôt hélicoptère selon la circulation : le groupe européen explore plusieurs pistes futuristes. “Dans moins de dix ans, nous pourrions avoir sur le marché des produits qui révolutionnent les déplacements urbains pour des millions de personnes”, anticipe Rodin Lyasoff.
On imagine assez facilement l’accueil que pourraient avoir ces drôles de machines dans des villes ultra congestionnées comme Sao Paulo, Mumbai ou Mexico. Sans parler de la Silicon Valley, où les ingénieurs étudiant la faisabilité des e-VTOL sont eux-mêmes habitués à souffrir au quotidien d’un trafic dantesque. Des embouteillages qui ont un coût, estimé à 100 milliards d’euros à l’heure actuelle, rien qu’au sein de l’Union européenne.
Service abordable
“Le marché se développera rapidement dès que nous serons en mesure de déployer les premiers véhicules dans les mégapoles et de démontrer les avantages d’un transport aérien silencieux et sans émissions”, décrit Jörg Müller, du département Développement d’Airbus, dans une étude de l’avionneur sur le futur de la mobilité. “Et ce, à des prix compétitifs”, ajoute-t-il, l’enjeu étant de réussir là où les hélicoptères ont échoué en leur temps, à savoir rendre ce service abordable.
Plusieurs éléments devraient contribuer à réduire les coûts d’exploitation, notamment des systèmes de propulsion électrique et l’utilisation de matériaux composites ou encore le fait qu’à terme ces aéronefs fonctionneront sans pilote, de façon complètement autonome. Mais c’est surtout le modèle économique, inspiré de l’autopartage, qui pourrait pérenniser ce transport urbain de nouvelle génération. En effet, selon Airbus, le prix d’un trajet en CityAirbus réservé par plusieurs voyageurs serait au final sensiblement proche à celui d’une course de taxi aujourd’hui.
Avec son modèle éprouvé de réservation de VTC partagés, Uber entend se positionner comme acteur majeur des taxis volants. Dans un futur proche, les voyageurs pourraient ainsi trouver une autre option de réservation à côté des UberX ou UberPool : UberAir. Le spécialiste des VTC étant partenaire de cinq constructeurs – Embraer, Bell Helicopter, Pipistrel, Aurora Flight Sciences et Mooney Aviation –, les premiers tests sont espérés pour 2020 et les vols commerciaux trois ans plus tard.
Mais le vrai envol de la solution est attendu pour 2028, lors des Jeux Olympiques de Los Angeles, Uber annonçant pouvoir transporter les visiteurs de l’aéroport au stade Stapples Center en moins de 30 minutes, contre trois fois plus de temps en voiture aujourd’hui. La ville californienne est, avec Dallas Fort Worth, la deuxième à s’être associée avec Uber pour faire apparaître ces taxis high-tech. “Los Angeles a toujours été un endroit où les innovateurs viennent lancer de nouvelles idées qui peuvent changer notre façon de vivre”, a déclaré en novembre son maire Eric Garcetti, lors de l’annonce de ce partenariat.
Et la sécurité ?
Avant de voir ce mode de transport se généraliser, il reste encore de nombreuses questions en suspens, à commencer par celle de la sécurité. Les constructeurs auront à prouver, à travers leur test, la fiabilité de leurs aéronefs en cas de mauvais temps ou d’accidents, Volocopter étant par exemple équipé de parachutes. Mais plus encore, c’est l’insertion de ces drones-taxis dans l’espace aérien urbain qui est à définir.
Face à la ferme volonté des différents acteurs cités de lancer ce transport urbain high-tech, l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’Agence européenne de la sécurité aérienne, la Federal Aviation Administration américaine ou la Direction générale de l’aviation civile française planchent toutes sur l’évolution de la réglementation. La NASA a, elle, été chargée de définir un nouveau mode de gestion pour les vols autonomes à basse altitude et compte Uber parmi ses partenaires, entre autres industriels. De son côté, Airbus s’est associé à la direction singapourienne de l’aviation civile dans le cadre du projet SkyWays. Il n’y a probablement plus longtemps à attendre avant de voir le ciel se couvrir de taxis silencieux volant au-dessus des grandes villes.