
Une passe de rugby : à l’occasion du match France-Pays de Galles en mars dernier, le groupe Société Générale a mis en scène de façon théâtrale le passage de témoin entre Frédéric Oudéa et Slawomir Krupa, le nouveau patron de la banque parisienne. Un coup de com’ qui s’appuie sur les liens forts entre le ballon ovale et la banque française, sponsor majeur du Top 14 comme de la coupe du monde en France qui débute ces jours-ci. Mais cette anecdote illustre aussi les relations entre le monde corporate et ce « sport de brutes joué par des gentlemen », pour reprendre un cliché de ce sport longtemps amateur où, sous la mêlée, pouvaient s’écharper un médecin, un avocat, un agriculteur autant que des étudiants prometteurs et des déménageurs de piano.
Sans remonter à l’entre-deux-guerres et à Quillan, petite ville de l’Aude dont le patron Jean Bourrel, ayant fait fortune dans les chapeaux, a fait du club un champion de France en 1929, l’histoire du rugby est marquée par le soutien d’entrepreneurs et d’entreprises reconnues, encore aujourd’hui. Un temps joueur à La Rochelle, Vincent Merling a par exemple fait de son entreprise de cafés une success story et de son club le double champion d’Europe en titre. Les laboratoires Pierre Fabre ne sont pas pour rien non plus dans les titres gagnés du Castres Olympique. Sans parler de l’ASM Clermont Auvergne, plus qu’étroitement associé à Michelin depuis les débuts du club en 1911.
Quant aux suiveurs passionnés, ils étaient nombreux parmi les grands patrons français des années 2000, Claude Bébéar, Jean-René Fourtou, Henri Lachmann entre autres. Et plus encore Serge Kampf, le mécène de l’équipe de France et actionnaire historique du Biarritz Olympique. Certains disent même que c’est dans l’avion les conduisant voir le match Galles-France à Cardiff en 2002 que la décision de remplacer Jean-Marie Messier à la tête de Vivendi aurait été prise…

Sans doute les valeurs communes ne sont-elles pas pour rien dans ces affinités entre les deux univers. Au rugby plus qu’ailleurs, la notion d’esprit d’équipe est exacerbée. Une solidarité facilement exploitable dans le discours d’un manager, tout comme le goût de l’effort, l’intelligence tactique, la convivialité et, dans une certaine mesure, le “french flair”. Nombre de rugbymen se sont d’ailleurs reconvertis en conférenciers, intervenant régulièrement dans des grandes entreprises pour inspirer leurs équipes. Daniel Herrero, Fabien Pelous, Marc Lièvremont, Serge Betsen, Frédérick Michalak, Guy Novès : la liste est longue, leurs palmarès prestigieux.
Si les rugbymen sont si courus dans le monde de l’entreprise, c’est bien sûr pour le lot d’anecdotes croustillantes dont recèle chaque carrière internationale. C’est aussi, bien souvent, pour un langage fleuri combiné à un art certain de la formule. C’est enfin – et la liste n’est pas exhaustive – pour une nécessaire expérience du jouer et du vivre ensemble. Le discours d’un coach ou d’un capitaine peut en effet pousser des équipes à se transcender pour relever des défis collectifs. “J’ai toujours cru au pouvoir des mots, résume Serge Betsen, demi-finaliste de la coupe du monde en 2003. Le discours émouvant d’avant match, les commentaires parfois abrupts échangés sur le terrain, la discussion apaisante avec les coaches après la bataille. Les mots déclenchent en nous des réactions bien précises. Et c’est bien le but de mes conférences : des mots aux actes. Vingt ans d’experience au plus haut niveau m’ont appris bien des leçons : les difficultés que l’on rencontre et les solutions qu’on trouve, l’inspiration après laquelle on court et les performances que l’on construit pas à pas”, explique l’international aux 63 sélections.

Eric Champ, l’ancien capitaine du Rugby Club Toulonnais, confiait pour sa part à Sport & Citoyenneté, un think tank dédié à l’étude du sport : “Les entreprises sont confrontées aujourd’hui à un combat permanent pour aller chercher les carnets de commande, pour constituer leurs équipes, les faire avancer, etc. Je n’ose pas être prétentieux, mais une partie de ma réussite vient du fait que cela ressemble beaucoup à tout ce que j’ai fait au cours de ma carrière sportive. Gérer des équipes, fixer des objectifs, motiver les cadres, supporter la pression…, cela demande une vraie expertise”. Et l’ancien troisième ligne, finaliste de la première édition de la coupe du monde en 1987, de résumer : “L’entreprise, c’est un sport de combat collectif, dans le bon sens du terme”.
Pour autant, l’introduction de l’ovalie dans la mêlée de l’entreprise ne se cantonne pas aux grands discours, aussi fleuris soient-ils quand ils émanent de tels personnages. Des méthodes de management, d’organisation, ont ainsi émergé, qui s’inspirent plus ou moins directement du rugby. On pense notamment à l’approche dite “SCRUM” – comprendre “mêlée” dans la langue de Pierre Albaladejo – qui s’inspire ouvertement du rugby. Une méthode agile qui, autour d’une petite équipe fermée où chaque personne a un rôle bien défini et accepté par les autres, permet de sortir des projets avec efficacité.
Mais, ne le cachons pas, si l’entreprise aime tant l’univers de l’ovalie, c’est aussi et surtout pour son aspect ludique, festif même. Convier ses équipes dans un stade, c’est partager ce moment de jeu entre collègues, comme sur le terrain ballon en main. Botter en touche et tout plaquer, mais dans une logique constructive. Rivaliser entre équipes pour remporter un “bout de bois”. Et enfin refaire le match lors d’une troisième mi-temps forcément méritée. Ou quand le rugby devient l’histoire d’un ballon avec des collègues autour. Et, comme chacun sait, “quand il n’y a plus de ballon, il reste des copains”…
Dossier Coupe du monde de rugby
Rugby, événementiel et monde du voyage : terrains d’entente
Hospitalités : le rugby aux premières loges
- Rugby : un esprit d’équipe communicatif aux entreprises
Jad Zoghbi (France 2023) : « un panel d’offres hospitalités pour s’adresser à tous les budgets »
Katia Lazarew (Société Générale) : « notre partenariat rugby améliore l’image de notre entreprise »
Evènementiel : les lieux du stade
Témoignage : quand le Stade Français Paris ouvre sa Maison Rose aux entreprises
« Nous avons fait du rugby une force » : Martial Malnati, Directeur général de Plainitude
Le haka : cohésion, motivation, tradition
Le monde du voyage tourne ovale
France 2023 : où les équipes logent-elles pendant la compétition ?