“Quand les entreprises technologiques cherchent où s’implanter, elles considèrent un ensemble de choses comme le coût et la qualité de vie, la saturation ou non des infrastructures de transports, etc, souligne Xavier Mesnard, associé du bureau parisien d’AT Kearney. De ce fait, il existe une vraie dynamique pour les villes de taille intermédiaire.” Si les mégapoles globales ont pour elles le pouvoir d’attraction des villes-monde, le bouillonnement culturel, la puissance économique et les flots d’investissement qui vont avec, les grandes métropoles continentales dégagent de leur côté une vraie énergie créative, un goût prononcé pour les expérimentations et, aussi, des coûts d’implantation moindres.
Cette tendance se remarque au sein du classement Global Cities Outlook 2019 d’AT Kearney, lequel recense les villes offrant les plus belles perspectives d’avenir. Dans son top 10, en plus des poids lourds que sont Londres, Paris et Tokyo, on retrouve aussi bien San Francisco, Silicon Valley oblige, qu’Amsterdam et Boston ou bien encore Munich, Stockholm et Dublin. “Des métropoles comme Boston ou Dublin jouent dans une autre division que New York et Londres. Elles se battent avec des positionnements plus sélectifs, remarque Vincent Raufast, manager senior d’EY France. Dublin, avant même le Brexit, s’est par exemple spécialisé sur les services financiers et le développement informatique.”
Dublin, donc. Où, comme souvent, ce sont d’anciennes zones industrielles réhabilitées, en l’occurrence les docks, qui hébergent ce foisonnement innovant. Accenture, Airbnb, Facebook, Google, LinkedIn, Twitter : tous ont fait de la capitale irlandaise leur siège social européen, entraînant la présence d’une foule de start-up autour d’eux. Le nombre de collaborateurs travaillant dans les “Silicon Docks” devrait d’ailleurs doubler d’ici 2022, pour passer à 80 000 employés.
Au fond, la vieille Europe n’est peut-être pas aussi “old school” qu’elle en a l’air. Dès lors que le cabinet de conseil PwC recense trois outils clés pour s’adapter aux changements actuels – le capital intellectuel, la high-tech et l’ouverture sur le monde –, Amsterdam, pour ne citer qu’elle, peut entrevoir l’avenir avec confiance. Première au monde pour l’accès internet à l’école, deuxième pour la vitesse de la bande passante, troisième pour l’usage des technologies de l’information : la ville, agréable à vivre, dopée par le boom de son quartier d’affaires de Zuidas, aimante les entreprises innovantes. D’autant que les synergies entre les secteurs publics, privés et la recherche universitaire fonctionnent remarquablement.


En bonne intelligence
Créer un écosystème stimulant accompagne les stratégies de croissance. Dans ce cadre, en Amérique du Nord, Toronto joue à fond sur l’intelligence artificielle pour s’imposer comme l’un des principaux hubs d’innovation au monde. Du coup, la plus grande des métropoles canadiennes peut se féliciter d’avoir su créer l’an dernier plus d’emplois “technologiques” que San Francisco et New York réunis. Ni plus, ni moins. Et les stars du secteur affluent. Ainsi Uber et General Motors ont-ils choisi Toronto pour poursuivre leur recherche sur le véhicule autonome, tandis que Samsung a ouvert un bureau de R&D au bord du lac Ontario. De son côté, une filiale de Google, Sidewalk Labs, a pour projet de transformer une friche industrielle en “smart city”, laboratoire à grande échelle de ce que pourrait être la ville du futur, bourrée de capteurs, de voitures autonomes et de robots-éboueurs.
Dans une étude datant de 2016 et éditée par le cabinet de conseil PwC, Toronto figurait à la deuxième place derrière Londres parmi les “cities of opportunity”. Qu’en serait-il aujourd’hui, à l’heure du Brexit ? D’autant que sa dynamique est soutenue par l’excellence de son université et l’aura d’un de ses anciens professeurs, Geoffrey Hinton. Considéré comme le “parrain” de l’intelligence artificielle, celui-ci conseille aujourd’hui l’Institut Vector, qui fait le lien entre les chercheurs et une noria d’entreprises sponsors.
Car le savoir se partage, l’intelligence n’est pas qu’artificielle. C’est d’ailleurs sur la proximité entre les entreprises et les grands centres universitaires que San Francisco et Boston ont bâti leur succès. Tandis que Stanford et Berkeley irriguent la Silicon Valley en collaborateurs multidiplômés et entrepreneurs talentueux, la cité californienne voit fleurir en son cœur un quartier d’affaires dédié à l’innovation, le SOMA, pour South of Market Street. Cette zone d’entrepôts autrefois en décrépitude s’est aujourd’hui convertie aux start-up et aux espaces de coworking.
Il existe une vraie dynamique pour les villes de taille intermédiaire grâce à leur qualité de vie attractive pour les entreprises technologiques.
Xavier Mesnard, associé du bureau parisien d’AT Kearney
En rénovant son waterfront, Boston s’est lui aussi donné un nouveau port d’attache à la fois business et trendy. L’Innovation District de Seaport diffuse cet esprit qui plaît tant aux nouvelles générations avec une soixantaine de bars et restaurants, une foule de magasins, sept hôtels et, bien sûr, de nombreux immeubles de bureaux. Encore en devenir, le quartier compte aujourd’hui 40 000 employés, contre moins de 5 000 en 2016. Parmi les 1 500 entreprises installées, on dénombre des start-up spécialisées dans l’intelligence artificielle, les véhicules autonomes, la réalité augmentée et l’internet des objets, mais aussi des géants de la santé ou du conseil comme Vertex Pharmaceuticals, PwC et Boston Consulting Group.
Cependant, San Francisco comme Boston voient leur attractivité singulièrement atténuée par un point défavorable : elles forment, avec New York, le trio des villes les plus chères aux États-Unis. Pour cette raison, San Francisco a même perdu la tête du classement Global Cities Outlook d’AT Kearney. Vladislava Iovkova, directrice de l’entité de conseil Strategy& de PwC, remarque que “les problèmes liés à la densité, plus prégnants dans les villes globales, peuvent très bien se transposer dans les villes coqueluches des jeunes générations”. Flambée de l’immobilier à Dublin, loyers multipliés par deux en dix ans à Berlin : le phénomène gagne aussi l’Europe.
Pour autant, il est difficile d’ignorer que le cœur de l’innovation se déplace de plus en plus vers l’Orient. L’an dernier, KPMG interrogeait 750 dirigeants de start-up et de grandes entreprises sur les hubs technologiques leaders d’ici quatre ans. Résultat, sur les 15 villes les plus fréquemment citées hors Silicon Valley, neuf se situaient dans la zone Asie-Pacifique, Shanghai, Tokyo, Pékin, Singapour et Séoul entre autres. La capitale coréenne, avec ses centres d’excellence, notamment en robotique, et le soutien de grands conglomérats comme Samsung, dégage une énergie innovante et ultra positive, notamment avec l’expansion toujours en cours de la Pangyo Techno Valley, au sud de la ville.
Les grandes métropoles d’Asie du Sud-Est ont une volonté d’expérimenter que l’on voit moins sur les marchés plus matures.
Vladislava Iovkova, directrice de l’entité de conseil en stratégie de PwC.
“Il y a un intérêt des investisseurs pour de nouveaux hubs comme Singapour, Hong Kong, Séoul ou les grandes métropoles d’Asie du Sud-Est, décrit Vladislava Iovkova. Vous trouvez là une volonté d’expérimenter que l’on voit moins sur certains marchés plus matures.” Tout en jouant sur la stabilité de sa place financière, une ville comme Singapour se rêve aujourd’hui en smart nation qui propose des solutions durables dans tous les domaines : vie quotidienne, transports, aide à la personne, sécurité. Et pour cela, la Cité-Etat n’hésite pas à attirer les entreprises et talents étrangers pour innover, que ce soit dans les énergies intelligentes, la cleantech ou la biotech. Une ouverture sur le monde, mais surtout sur le monde de demain.


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