Interview : Paris Aéroport Studios dévoile les coulisses cinéma du Groupe ADP

Les aéroports parisiens jouent régulièrement les premiers rôles au cinéma. La cellule Paris Aéroport Studios est dédiée à l'organisation des tournages au sein du groupe ADP. Visite des coulisses de ce plateau pas comme les autres avec les membres de l'équipe.
Paris Aéroport Studio
L'activité liée aux prises de vues commerciales représente près de 40 films par an pour Paris-CDG et Le Bourget, et 20 pour Paris Orly (DR Paris Aéroport Studio Orly Cyrille Cuvillier Groupe ADP)

Concilier le tournage d’une super-production ou de la prochaine série à succès et le fonctionnement normal d’un aéroport international : la mission n’est pas impossible… A condition de réunir un casting de spécialistes. C’est le rôle du Paris Aéroport Studios constitué par le Groupe ADP. Rencontre avec Céline Bianchi en charge du dossier pour l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, Carole Boilot pour Paris-Le Bourget et Cyrille Cuvillier pour Paris-Orly.

En quoi consiste votre rôle au sein de Paris Aéroport Studios ?  

Céline Bianchi Galeuzzi – Nous sommes les chefs d’orchestre de l’organisation des tournages sur les trois aéroports parisiens. Nous faisons en sorte de pouvoir organiser des tournages dans les meilleures conditions, en pleine exploitation, pour que in fine tout le monde soit satisfait : la production comme le Groupe ADP.

Cyrille Cuvillier – Nous sommes un peu les régisseurs généraux des aéroports.

Etes-vous aussi chargés de la sélection des films auxquels seront accordés une autorisation de tournage ?

Cyrille Cuvillier – Oui, nous lisons le scenario pour vérifier qu’il n’y ait pas de scène qui puisse nuire à l’image de l’aéroport ou des services compétents de l’Etat. C’est rare, mais ça arrive.

Céline Bianchi Galeuzzi – Nous acceptons quasiment tout. Ce qui bloque, ce sont des films qui dénigrent les partenaires à un point assez élevé. Il y a aussi ce qui est relatif aux attentats. On nous explique « ne vous inquiétez pas, l’acteur rentre dans le terminal, et fait exploser son gilet avec des effets spéciaux« . Nous refusons, à la fois pour une question de sécurité et d’image. Nous avons aussi refusé des demandes pour tourner des films… « osés », classés X…

Paris Aéroport Studios Orly (c) Cyrille Cuvillier pour Groupe ADP

Votre rôle sur les tournages se rapproche-t-il plutôt du conseil, pour exploiter au mieux certaines prises au sein de l’aéroport, ou de gardien du temple, qui s’assure que les équipes ne sortent pas des clous ?

Céline Bianchi Galeuzzi – Cela se rapproche plutôt de la deuxième option. Nous sommes là pour assister les équipes, pour qu’elles ne se dispersent pas, qu’elles ne prennent pas plus de place que ce qui était prévu. Pour rappel nous tournons le plus souvent en conditions réelles d’exploitation, rien ne doit risquer de perturber le trafic ni le parcours des voyageurs

Cyrille Cuvillier – Il y a aussi un rôle de conseil, on peut les aider à découvrir de nouveaux lieux pendant le repérage qui les poussent à revoir ce qu’ils avaient prévu.

Carole Boilot – Il y a aussi parfois un manque de cohérence entre le scénario et la réalité, des confusions entre le passage de la douane, de la sécurité, de la police, entre les zones d’enregistrement et d’embarquement. Les équipes s’en rendent compte une fois dans l’aéroport.

Cyrille Cuvillier – Nous avons un gros travail de préparation avant chaque tournage, en particulier en ce qui concerne toutes les autorisations à obtenir, et ce auprès de différents services de l’aéroport et de services compétents de l’Etat, ou pour pouvoir privatiser une zone d’enregistrement, un tapis bagages… Je dirais que l’une des principales qualités requises, aussi bien à Paris-CDG qu’à Orly, c’est d’avoir un réseau phénoménal dans l’entreprise.

Céline Bianchi Galeuzzi – Il faut effectivement connaître beaucoup de gens. Ce travail ne pourrait pas être assuré par quelqu’un qui arriverait de l’extérieur. Ce serait impossible. Il faut aussi connaître les lieux. Paris CDG c’est un tiers de Paris : c’est un terrain énorme !

Comment gérez-vous les voyageurs pendant le tournage ? Apparaissent-ils à l’écran ?

Céline Bianchi Galeuzzi – Nous ne filmons pas les passagers. Tous les gens qui apparaissent sont des figurants. C’est la politique du Groupe ADP.

Cyrille Cuvillier – Les plans serrés sont sur des figurants. A Orly, nous tournons en exploitation avec les passagers et nous mettons les figurants au premier plan. La vie de l’aéroport continue en fond. Nous n’avons jamais rencontré de problème. Les passagers aiment beaucoup voir des tournages, qui leur font une animation au sein de l’aéroport. Et si il y a des têtes d’affiche c’est encore mieux. Ca attise les curiosités, et ça fait passer le temps !

En quoi les aéroports parisiens sont-ils « cinégéniques » ? Pourquoi sont-ils choisis par les réalisateurs ?

Céline Bianchi Galeuzzi – Les trois aéroports sont très différents. Paris le Bourget, c’est bien sûr l’aviation d’affaires. Pour les scènes avec des jets privés, le choix est donc clair. Paris Orly, c’est la terrasse, c’est la tour de contrôle, la façade… Paris CDG, ce sont les tubes de CDG 1. Il y a cet aspect architectural, et bien sûr la volonté de voir que l’on est dans un aéroport, y compris parfois dans une ville autre que Paris. Mais dans 95% des cas on est à Paris. Sur les 5% restants, on est en province voire à l’étranger. Dans ces cas-là on montre des lieux qui ne sont pas emblématiques de nos infrastructures, on cherche la salle d’embarquement la moins reconnaissable.

Carole Boilot – Pour mes deux derniers tournages sur Paris-CDG, l’action se déroulait à Londres et en Indonésie par exemple.

Cyrille Cuvillier – Je suis en train de préparer un tournage pour cet été où nous serons à Paris, à Dijon et à Stockholm, et tout sera tourné à Paris Orly.

Quelles sont les zones les plus plébiscitées, et à l’inverse les zones exclues de tout tournage ?

Cyrille Cuvillier – Il n’y a pas de tournage dans le tri bagage. Quant aux zones privilégiées, ce sont les grands classiques de l’aéroport : les zones d’enregistrement, la salle et les portes d’embarquement, la livraison bagages, le dépose-minute…

Carole Boilot – A Paris Le Bourget, ce qui fonctionne bien, ce sont les pistes. Forcément, obtenir une piste à Paris CDG ou Paris Orly, c’est un peu plus compliqué. Alors que nous disposons d’une piste qui est utilisée essentiellement pendant le salon aéronautique, qui peut donc servir assez facilement aux tournages en dehors de cette période. Et sur les aérodromes c’est beaucoup plus simple au niveau de l’accès, des formalités, des délais. La marge de manœuvre est supérieure, même si l’on est dans un environnement moins « aéroportuaire » que Paris CDG ou Paris Orly.

Cyrille Cuvillier – Il y a aussi des films qui ont été tournés sur les trois plateformes, pour avoir des décors différents. C’est arrivé pour le film Boîte noire par exemple.

Paris Aéroport Studios Orly (c) Cyrille Cuvillier pour Groupe ADP

Quels sont les jours, les heures privilégiés pour un tournage ?

Céline Bianchi Galeuzzi – C’est rarement le week-end, car les tarifs sont majorés, tout comme la nuit, même si c’est plus simple en nocturne. En général, il s’agit d’une ou deux journées de travail, de 8h à 20h. Les longs métrages sont majoritaires mais nous traitons des types de tournages très variés : films commerciaux ou publicitaires, de plus en plus de séries bien sûr, des photos de mode…

Cyrille Cuvillier – En général, l’idéal c’est de tourner en pleine semaine, du mardi au jeudi. Il y a des terminaux plus exploités que d’autres sur certains créneaux horaires. Sur Orly 4, l’après-midi est beaucoup plus calme que le matin, contrairement à Orly 3 qui est toujours en pleine exploitation, et que nous évitons donc. Orly 4 a beaucoup de succès auprès des productions. C’est très graphique, il y a des couleurs d’époque qui plaisent énormément.

Céline Bianchi Galeuzzi – En ce moment nous disposons à Paris CDG d’un terminal fermé qui nous offre une aire de jeu, même s’il faut passer à travers les travaux. Cela permet d’avoir tous les décors, sans gêner l’exploitation.

Comment s’est passée l’activité tournage pendant la crise sanitaire ?

Céline Bianchi Galeuzzi – Nous avons recommencé à tourner fin 2020 quand on a tous commencé à retravailler. L’activité était vraiment allégée. En mai-juin 2021, quand tout a rouvert, ça a explosé. Les scénaristes étaient restés si longtemps enfermés… ils ont beaucoup écrit !

Cyrille Cuvillier – Il y a eu des mesures draconiennes pour pouvoir recommencer à tourner. Il y a eu un temps d’adaptation nécessaire, avec de nouvelles procédures très difficiles à mettre en place et à organiser. La distanciation sur un tournage, ce n’est pas évident. Au début, il était refusé aux comédiens de retirer le masque, il a fallu batailler mais on y est arrivé aussi.

Les aéroports évoluent avec la digitalisation du parcours voyageur. Est-ce compatible avec les attentes des réalisateurs en termes de rendu visuel ?

Cyrille Cuvillier – Il y a effectivement une question d’image : les évolutions liées à la digitalisation ne sont pas encore vraiment intégrées dans le cinéma, hormis peut-être dans un film d’anticipation. Pour le cinéma, il est encore important de montrer des échanges avec les hôtesses pour déposer son bagage par exemple. Il y a souvent des scènes dans lesquelles le passager sort sa carte d’embarquement papier… Mais nous pouvons leur proposer les deux choix : une ambiance moderne avec toute l’automatisation du parcours, ou un échange de billet physique avec une hôtesse. Il y a une certaine nostalgie de ces scènes, qui ne colle pas avec la digitalisation du parcours en aéroport, mais nous nous adaptons à tous les scénarios.