L’Istanbul du futur investit les rives du Bosphore

Istanbul se repositionne comme l'une des nouvelles métropoles de la créativité et des industries de l’art en Europe. De nouveaux quartiers sortent de terre le long du Bosphore. Les deux projets de développement les plus emblématiques sont le complexe Galataport autour du port de croisière et désormais, le district de Tersane-Istanbul. Ils placent Istanbul dans la ligue des métropoles qui entendent compter pour le secteur de la créativité et des arts.
Istanbul Bosphore
Istanbul se redéfinit le long du Bosphore comme ici dans le nouveau district de Galataport (Photo : Luc Citrinot)

On est en fin d’après-midi et la jeunesse branchée d’Istanbul fréquente les anciens entrepôts du quartier de Tersane, qui accueille une exposition d’art contemporain. Tandis que les DJ s’agitent derrière leurs consoles, les visiteurs admirent et achètent les œuvres d’art. A moins qu’ils ne contemplent tout simplement le coucher de soleil sur la Corne d’Or en sirotant un cocktail. Voici Istanbul tel qu’elle aime se définir.

C’est certes un poncif qui colle à la peau de cette mythique cité. Porte de l’Orient en Europe pour les uns, porte de l’Occident en Asie pour les autres. Un cliché impossible à ignorer tant il imprègne l’esprit de cette ville. Nulle part ailleurs en effet, on trouve un lieu où fusionnent si bien Europe et Moyen-Orient ; où deux cultures jugées parfois antagonistes se côtoient en un formidable laboratoire des tendances du futur.

Istanbul est une rebelle dans le kaléidoscope géopolitique de la Turquie. Là où le pays s’affiche souvent de plus en plus conservateur, Istanbul clame son esprit progressiste. La ville joue d’ailleurs depuis plusieurs années l’antithèse au pouvoir central turc. Le maire de la ville, Ekrem Imamoglu, veut ainsi se présenter en 2023 contre l’omnipotent président actuel, Recep Tayyip Erdogan. Rien n’est moins sûr dans cette future élection présidentielle… Mais elle dira au moins si Istanbul, avec sa tradition libérale, prendra la main sur le destin de la Turquie. Ou inversement…

Quelle que soit l’issue des élections de 2023, Istanbul poursuivra son saut dans une contemporanéité teintée de valeurs qui caractérisent plutôt les grandes villes d’Europe occidentale. Cela se reflète particulièrement dans ses ambitieux projets d’aménagement de cette ville de quelque 16 millions d’habitants. Depuis plusieurs années, les infrastructures rythment le quotidien de la métropole. Elles redessinent non seulement son visage mais façonnent aussi son image à l’international.

Une génération d’investisseurs locaux dynamiques profite du cosmopolitisme d’Istanbul pour faire basculer la ville dans une dimension plus contemporaine, où la créativité, la culture en sont souvent les moteurs. C’est dans ces domaines que se confrontent aussi le politique, et au-delà, la conception de la société turque.

En effet, les grands projets structurants d’Istanbul le long du Bosphore ne sont pas uniquement des opérations immobilières. Ils s’accompagnent d’une volonté de devenir des pôles de la créativité en Europe et des lieux de vie ouverts à toutes les générations. A commencer – de façon surprenante –  par Galataport, le nouveau quartier bâti autour du terminal international de croisières.

Croisières et culture se côtoient à Galataport Istanbul

Galataport Istanbul court sur 1,2 kilomètre le long du Bosphore, dans un lieu historique appartenant à l’Etat. Mais qui était resté à l’abandon pendant plusieurs décennies et que la municipalité d’Istanbul a décidé de revitaliser.

Ouvert en octobre dernier, il s’agit d’un front de mer où alternent constructions contemporaines – immeubles de bureaux, appartements, centre commercial et le terminal de croisières – et bâtiments historiques. Un développement qui aura nécessité 1,7 milliard de dollars de la part du groupe privé derrière Galataport Istanbul.

Le cœur du quartier est un immense terminal de croisières de 29 000 m², le premier du monde à être souterrain – une prouesse technologique. Il est capable d’accueillir trois bateaux de croisière et jusqu’à 15 000 passagers par jour. « On s’attend à quelque 200 bateaux par an« , indique Mehmet Bali, directeur du marketing de Galataport İstanbul.

Autour du terminal, s’implantent un centre commercial avec 250 boutiques, un hôtel de luxe cinq étoiles, des bureaux et un musée. « Nous avons en fait créé un pôle de vie, avec ses espaces de gastronomie, d’arts, de culture et de shopping. Galataport Istanbul est en passe de devenir un point de rencontre privilégié pour les habitants et les touristes« , ajoute Mehmet Bali. Entre 15 et 20 millions de visiteurs pourraient ainsi déambuler annuellement dans ce quartier…

Avec l’ouverture du luxueux Peninsula Istanbul début 2023, le district de Galataport sera complet pour les acteurs du MICE. L’hôtel occupe une série de bâtiments historiques auxquels s’ajoute un hall de congrès. L’entrée de l’hôtel est situé dans le Karaköy Passenger Terminal, construit dans un style art déco rationaliste à la fin des années 30. A côté, le centre commercial, aménagé dans le terminal passagers originel, peut également accueillir des évènements privés.

Autre lieu qui devrait séduire l’industrie du MICE : le futur musée Istanbul Modern. La spectaculaire structure transparente, œuvre de l’architecte Renzo Piano, s’étend déjà le long du Bosphore. Le musée doit normalement ouvrir ses portes en septembre 2022. Il proposera un café, une librairie mais aussi un espace pour des évènements spéciaux. Le tout en partenariat avec le Centre Pompidou Paris.

Prévu pour une ouverture à la même date, le Musée de Peintures et Sculptures d’Istanbul s’installera sur le toit du campus de la Mimar Sinan Fine Arts University (MSGSU). Géré par la municipalité, ce musée présente, outre de l’art ottoman, une collection de peintres occidentaux – dont Bonnard, Derain, Matisse et Picasso. Deux musées qui hissent Galataport au rang de hub culturel. Et qui attirent déjà galeries d’art et ateliers de création.

(Photos: maquette du Peninsula, l’intérieur du terminal des croisières et la tour de l’horloge Tophane avec le nouveau musée Istanbul Modern- LC)

Tersane Istanbul dédié aux arts

Mais il n’y a pas que Galataport Istanbul qui revendique son rôle dans le secteur des arts. Près de la Corne d’Or, Tersane Istanbul Project est un autre quartier où les arts et les industries de la création ont trouvé un nouveau lieu propice à leur épanouissement.

Tersane Istanbul ne manque en effet pas d’ambitions. Chantier gigantesque appelé de ses vœux en 2019 par le Président turque Erdoğan, le projet de 2,4 milliards de dollars prévoit l’aménagement de 2 km de rives le long de l’historique chantier naval de la Corne d’or.

Aujourd’hui, le quartier prend forme. D’anciens entrepôts navals abandonnés ou négligés – dont le plus ancien créé par le sultan Mehmet II en 1455 – sont petit à petit restaurés. S’y implanteront quatre à cinq resorts urbains 4 ou 5 étoiles, des appartements dans des immeubles de deux à trois étages, des villas, des commerces, des musées, un théâtre de plein air et une structure dédiée aux MICE. Le tout sur une superficie de 242 000 m² avec vue sur le Bosphore et la ville historique d’Istanbul.

Le développement de Tersane Istanbul se veut aussi particulièrement respectueux de l’environnement. « Le facteur le plus important est ce littoral unique. Nous nous sommes convaincus de ne pas perturber la relation très originale du site avec la mer, où l’harmonie des structures se fond dans la Corne d’Or« , décrit l’architecte Murat Tabanlioğlu.

L’architecte est, avec Ali Güreli, président de la foire d’art Contemporary Istanbul, l’âme de cet ambitieux projet. « Nous nous sommes inspirés du développement de Hambourg Hafen City, la culture étant au cœur de la vie de Tersane Istanbul« , explique Ali Güreli.

Les projets hôteliers prévoient plus d’un millier de chambres. Dont un resort de très grand luxle Rixos Tersane. Il devrait être géré par le groupe Accor.

Deux musées à l’architecture spectaculaire viendront là aussi donner l’identité culturelle au projet. Il s’agit du premier Musée des femmes en Turquie et du Musée Sadberk Hanım. Propriété d’une fondation privée, ce dernier possède une collection de 20 000 œuvres d’art. Le musée des femmes célébrera l’apport des femmes dans la société.

Coup d’envoi de Tersane Istanbul en 2023

Autre lieu emblématique, la cale de halage de Valide (Impératrice) va revenir à la vie. « Il s’agit d’une structure historique dont nous reconstruisons le toit caractéristique en fer. La cale deviendra la porte d’entrée de Tersane Istanbul, depuis la mer« , décrit encore l’architecte. Des restaurants mais aussi des espaces évènementiels seront abrités à l’intérieur de ce gigantesque hall.

Les activités culturelles seront au cœur de l’activité économique de Tersane Istanbul. A l’instar de Contemporary Istanbul, la foire d’art contemporain locale. Elle est devenue un lieu d’échanges et de commerce des arts, non seulement pour la Turquie mais aussi de plus en plus pour le Proche-Orient.

« Nous ouvrirons la première phase du projet, y compris le musée Sadberk Hanim et la salle d’événements en 2023, tandis que la deuxième phase devrait être terminée d’ici octobre 2024« , prévoit Murat Tabanlioğlu.

En attendant, les entrepôts historiques partiellement reconstruits bruissent déjà de vie. Ils accueillent concerts et événements artistiques. Et font vibrer la jeunesse dorée stambouliote.

(Photos: vue du projet Tersane Istanbul, esquisses de la cale de halage Valide et du Rixos Tersane Resort- images Tersane Istanbul)