
Passé par McKinsey et le fonds d’investissement Carlyle, Javier Aguila est pleinement entré dans le monde du tourisme en devenant COO du tour opérateur espagnol Orizonia en 2012. Une expérience opérationnelle qui l’a conduit en 2014 à fonder sa propre chaîne, Alua Hotels & Resorts. Une enseigne loisirs progressivement reprise par le leader du all inclusive haut de gamme Apple Leisure Group dans le cadre de son expansion sur le marché européen, Javier Aguila en devenant d’ailleurs le président pour la région. Hyatt ayant fait l’acquisition d’Apple Leisure Group, il s’est vu confié il y a un an le soin de présider aux destinées du groupe américain pour la région Europe, Moyen-Orient et Afrique.
Pourquoi avez-vous décider de rejoindre le groupe Hyatt ?
Javier Aguila – Tout d’abord parce que Hyatt est une entreprise fantastique, un grand groupe avec une dimension américaine et internationale, mais aussi avec une culture familiale puisqu’il est toujours détenu en majorité par la famille Pritzker. Mais, surtout, parce qu’il y avait cette opportunité de participer à la profonde transformation du groupe. C’est un moment très excitant pour Hyatt. En 2010, nous n’avions que huit marques, contre 28 aujourd’hui. En 2017, la part de l' »asset light » dans notre stratégie immobilière était inférieure à 50%, contre 75% aujourd’hui. En 2021, nous n’avions encore que quelques resorts dans le monde et maintenant nous sommes leader mondial du all inclusive de luxe avec le rachat d’Apple Leisure Group. D’autre part, Hyatt est resté longtemps centré sur les Amériques. Sur nos 1250 hôtels dans le monde, plus de 800 se trouvent outre-Atlantique. Or l’année dernière, alors que Hyatt a enregistré la plus forte croissance en nombre de chambres parmi les grands groupes mondiaux (NDLR : de +6,8%), près de la moitié de cette croissance a eu l’Europe pour cadre. Et nous avons l’intention de continuer dans cette voie, car il y a beaucoup d’opportunités à saisir dans la région.
Le développement de Hyatt en Europe est donc votre grande priorité ?
Javier Aguila – Dans le passé, l’Europe ne venait en quelque sorte qu’en complément de l’Amérique, avec la volonté d’offrir un lieu de séjour aux voyageurs du monde entier lors de leurs déplacements en Europe. Grâce à ce développement opportuniste autour d’hôtels de haut niveau dans les grandes métropoles, nous étions déjà un acteur de premier plan dans la région EMEA. Maintenant, nous voulons être un acteur de premier plan en général, en tirant profit de l’importance du marché local. Notre stratégie est de construire notre activité autour des voyageurs européens. C’est l’un des grands changements que je vais mettre en place.

Quelles sont vos pistes pour étendre votre empreinte dans la région ?
Javier Aguila – Nous avons encore un nombre limité d’hôtels au Royaume-Uni, en France, en Espagne… Ce qui nous laisse une large place pour grandir. Vous pouvez vous attendre à ce que nous soyons très actifs. Dans les destinations clés, nous allons accélérer le développement de nos huit marques principales, entre autres Park Hyatt, Thompson ou Andaz. Nos enseignes haut de gamme Hyatt Place et JdV ont aussi des perspectives de croissance considérables. Nous pouvons également jouer sur des marques adaptées au marché corporate comme Hyatt Regency ou Grand Hyatt, avec de beaux équipements pour les événements d’entreprise. Dans les lieux à fort trafic affaires, nous avons aussi la possibilité de développer des combos en mixant des marques courts et longs séjours comme à Paris CDG avec un duo Hyatt House-Hyatt Place, ou en mêlant des enseignes haut de gamme et upper upscale à l’image de Zurich où nous avons un combo Hyatt Place-Hyatt Regency. Et je vois également une opportunité de développement pour Hyatt Studios, une nouvelle marque longs séjours récemment lancée aux États-Unis. C’est pourquoi je suis si enthousiaste face à toutes ces perspectives.
Avec ce développement qui s’annonce important, la reconnaissance des marques Hyatt auprès de la clientèle européenne en sera-t-elle d’autant renforcée ?
Javier Aguila – En effet, pour devenir très forts sur ce marché, nous devons augmenter notre présence en ciblant une dizaine de pays essentiellement : le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, le Benelux ou encore la Grèce et la Turquie. Mises ensemble, ces destinations représentent 65 % du marché touristique en Europe et regroupent en parallèle la plupart des voyageurs au plan régional. Accroître rapidement notre présence est essentiel et c’est une des raisons du partenariat que nous avons récemment réalisé avec Lindner Hotels, avec une trentaine d’hôtels en Allemagne qui sont en train d’être intégrés à notre marque lifestyle JdV. Nous sommes en train d’examiner des opportunités similaires dans d’autres pays.

En France par exemple ?
Javier Aguila – Tant que rien n’est signé, je ne donnerai aucune précision sur nos projets en cours. Mais il est certain que nous voulons prendre de l’ampleur en France, nous implanter dans les villes importantes où nous ne sommes pas présents comme Marseille ou Montpellier, renforcer notre offre à Paris avec une de nos marque lifestyle comme Thompson ou Andaz, attractive auprès des touristes comme de la clientèle locale. Andaz est une marque sur laquelle nous misons beaucoup, aussi bien dans des destinations urbaines comme Londres ou Paris ou plus loisirs, pourquoi pas à Nice ou Cannes, de même qu’à Majorque et à Ibiza.
N’y a-t-il pas le risque, avec toutes ces perspectives de développement, de diluer ce qui fait la force du nom Hyatt ?
Javier Aguila – Notre croissance se fera de manière réfléchie, en suivant une stratégie précise, sans nous développer à tout prix. Nous ne voulons pas perdre ce qui fait l’essence de Hyatt, cette volonté d’être le meilleur dans les segments où nous sommes positionnés. Certes, nous sommes plus petits en taille par rapport à d’autres grand groupes. Mais, que ce soit dans le luxe, le haut de gamme ou le loisir, nos produits sont toujours positionnés un cran au-dessus dans leur catégorie. C’est ce qui nous rend fort. Ainsi nous nous développerons, nous nous lancerons dans d’autres segments, mais toujours avec cette idée force, celle de ne jamais attaquer un segment par le bas.
En suivant cette même stratégie, peut-on imaginer qu’Hyatt puisse être un jour un acteur de l’hôtellerie économique ?
Javier Aguila – Je pense que nous avons encore beaucoup de choses à faire avant d’éventuellement entrer sur ce marché. D’autant qu’il faut être cohérent. Un client qui découvre Hyatt en commençant par l’une de nos marques milieu de gamme peut potentiellement fréquenter un jour nos établissements de luxe. Rien n’est moins sûr si vous allez plus bas. Concentrons-nous sur notre croissance et la pénétration du marché européen. Il y a tellement de possibilités d’y gagner des parts de marché rien que sur le luxe et sur le lifestyle.

Depuis une dizaine d’années, Hyatt a largement étendu son portefeuille de marques. Comptez-vous continuer dans cette voie ou un plafond a-t-il été atteint ?
Javier Aguila – Je pense qu’à l’heure actuelle, nous avons le bon nombre de marques. Il n’y a pas de nécessité à aller plus loin, sauf éventuellement de manière anecdotique, avec une enseigne venant renforcer notre position sur un marché en particulier. Je pense que notre positionnement est unique aujourd’hui. Nos marques de luxe rivalisent avec celles des spécialistes comme Four Seasons, Rosewood ou Mandarin. Avec nos marques haut de gamme, nous sommes un cran au-dessus en termes de qualité par rapport à la concurrence. Nous sommes concentrés sur nos segments clés, sans nous éparpiller. Cet équilibre est le bon, selon moi.
Compte tenu de votre passé professionnel, marqué notamment par la création d’Alua Hotels, le développement de Hyatt en Europe sera-t-il davantage axé sur l’hôtellerie loisirs ?
Javier Aguila – L’orientation de Hyatt vers le segment loisirs avait déjà été prise avant mon arrivée au sein du groupe, avec le rachat d’Apple Leisure Group. Mais il est évident que nous allons en profiter, d’autant que mon équipe et moi connaissons parfaitement ce marché. Ce n’est pas qu’une question de signature de contrats. Vous devez connaître les destinations dans le détail, leur connectivité aérienne, la qualité de la main-d’œuvre, leurs clientèles sources qui peuvent différer d’un endroit à l’autre. En Europe, à la différence des Caraïbes où la plupart de nos hôtels sont purement all inclusive, nous pourrions orienter notre développement sur une offre mixte avec un établissement all inclusive et une propriété de luxe sur un même site.
Le Moyen-Orient et l’Afrique sont aussi dans votre périmètre. Quels sont vos objectifs de développement dans ces régions ?
Javier Aguila – L’Afrique est un grand marché. Mais je pense qu’en faisant tout en même temps, le risque existe de se disperser. Nous allons donc cibler davantage notre stratégie sur l’Europe et sur le Moyen-Orient. Car il y a deux ou trois marchés où nous ne sommes peu représentés comme l’Arabie Saoudite ou l’Égypte et qui offrent de belles perspectives de croissance. Par ailleurs, nous allons bientôt ouvrir un Andaz au Qatar qui, pour l’avoir visiter récemment, s’annonce fantastique.
Plus largement, votre volonté de vous étendre sur le marché européen sera-t-elle à la fois soutenue et alimentée par votre programme de fidélité World of Hyatt ?
Javier Aguila – Notre stratégie nous permettra en effet d’accueillir davantage de clients européens au sein de notre programme de fidélité. World of Hyatt, qui a été reconnu à plusieurs reprises comme le meilleur programme au monde, compte aujourd’hui 38 millions de membres. Pour renforcer sa position, notamment en Europe, nous avons récemment acquis la plate-forme Mr & Mrs Smith, qui propose à la réservation une collection de 1850 hôtels de luxe et boutique soigneusement sélectionnés, dont une centaine en France. Si Mr & Mrs Smith continuera à fonctionner de façon indépendante, ce rachat va nous permettre de toucher leurs deux millions de membres ou presque. En retour, ceux-ci auront la possibilité d’accéder aux hôtels Hyatt. Nous sommes en train de voir quels hôtels de la collection de Mr & Mrs Smith peuvent avoir du sens pour participer au programme World of Hyatt. Mais une chose est sûre, pour nos clients fidèles, ce rachat va nous offrir une présence immédiate sur des marchés où nous n’étions pas encore. Nous sommes donc très enthousiastes.
