
L’événement de demain sera hybride ou ne sera pas : voilà le message qui infuse depuis quelques mois au sein de la communauté meetings & events. Un écosystème qui s’essaie au 100 % virtuel faute de pouvoir se retrouver « dans le monde réel », mais qui table clairement sur l’émergence d’un compromis alliant présentiel et distanciel, grâce au digital. Pas une semaine ne se passe sans qu’un centre des congrès ou un groupe hôtelier ne se positionne sur le dossier de l’hybride, en vue de relancer la machine événementielle. Et ces investissements, souvent conséquents, semblent bien inscrire cette tendance dans un temps long, bien au-delà de la crise sanitaire.
Il faut dire que la nouvelle dimension hybride présente bien des atouts. La diffusion en ligne – en direct et ou en streaming – ouvre les portes à un nouveau public, à de nouveaux intervenants, progression à la fois quantitative et qualitative. « Tout à coup, on a réalisé que l’on peut partager des informations en ligne, qu’un keynote speaker peut, depuis Seattle, avoir un impact sur une conférence organisée à Singapour », témoigne Arun Madhok, CEO du Suntec Singapore Convention and Exhibition Centre.
D’un point de vue logistique, un événement hybride offre aussi plus de souplesse à l’organisateur, dans l’espace et dans le temps : “C’est un autre avantage de l’événement digital : l’échelle de temps n’est pas la même. Alors qu’un événement physique dure deux ou trois jours, un événement virtuel peut s’étaler sur un mois”, rappelle Alain Chanavaz, co-président MPI France Suisse. Ce nouveau format fait aussi sauter le verrou budgétaire qui pouvait bloquer la participation à certains événements lointains, et par la même occasion se pare d’une vertu environnementale forcément bienvenue. “Il nous faudra appréhender de nouvelles formes de rencontres, certainement hybrides, en lien avec les nouveaux enjeux du monde ; que ce soit la préservation des ressources et du climat, la numérisation et le partage des connaissances, l’inclusion et les partenariats avec toutes les parties prenantes”, indiquait il y a peu le président de France Congrès, Philippe Augier.
N’en déplaise aux amoureux de la poignée de main traditionnelle, le volet virtuel donne aussi de nouveaux outils de pilotage aux organisateurs en termes de “data”. Alors qu’il est parfois complexe de jauger le succès d’un événement physique, l’audience en ligne et l’engagement des participants sont plus facilement quantifiables. Et à en croire Alain Chanavaz, par ailleurs formateur autour de ces questions pour le Studio Liveteam, les rendez-vous virtuels se concrétiseraient bien souvent par des retombées contractuelles : “Ce qui marche très bien aujourd’hui, ce sont des événements d’une journée durant lesquels les entreprises viennent se présenter sous forme d’ateliers d’une quinzaine de minutes offrant, ensuite, la possibilité de prise de contact. Si l’on constate que le nombre de rendez-vous est inférieur à un événement physique, en revanche la conversion en contrats est plus importante. C’est beaucoup plus qualitatif, car la mise en relation est plus facile et efficace. Si, en plus, vous ajoutez une “couche” de data sur les centres d’intérêt des participants et leurs attentes, le matchmaking devient très performant”.
Ces différents arguments semblent déjà avoir séduit les professionnels du meeting & events. D’après une étude publiée par Sli.do au début de la pandémie, les entreprises misent largement sur l’hybride après la crise. Parmi les 8 800 personnes interrogées, une large majorité (62%) prévoyaient que la plupart des événements seraient hybrides dans ce fameux “monde d’après”. Dans son rapport 2021 Global Meetings and Events Forecast, American Express Meetings & Events prévoyait d’ailleurs que l’hybride représenterait cette année la moitié de la programmation sur le marché européen. Pour Gerardo Tejado, Senior Vice President et General Manager d’American Express Meetings and Events, « L’enseignement clé de notre rapport est clair : les réunions doivent avoir lieu. Il y a une volonté de revenir aux réunions en présentiel dès qu’il sera possible de le faire en toute sécurité. Et les réunions hybrides en seront le catalyseur« .

Indéniablement, le volet technologique ouvre de nouveaux horizons aux organisateurs d’événements. D’autant que la crise a poussé les fournisseurs à accélérer sur le chemin de l’innovation. Directrice générale de l’association PCMA (Professional Convention Management Association) pour la zone APAC, Karen Bolinger était aux premières loges pour observer le phénomène : “L’année dernière, avec l’expansion du Covid-19, nous avions dû nous adapter rapidement en nous tournant vers les technologies existantes pour continuer notre activité au travers de conférences en ligne, pas encore hybrides étant donné le contexte sanitaire. Mais, pendant cette période, la technologie a fait un bond en avant d’une dizaine d’années en l’espace de six mois !”.
Pour autant, les organisateurs d’événements doivent éviter le piège de la technologie pour la technologie, comme le rappelle Karen Bolinger : “En réalité, il serait préférable pour les organisateurs de revenir aux fondamentaux : mieux cerner leurs objectifs, la raison d’être de chaque événement, ce qu’ils souhaitent que les participants en retirent, avant de s’intéresser aux outils à utiliser”. Tel est le défi pour des organisateurs qui, confrontés à une kyrielle de nouvelles solutions attractives, doivent faire le tri et surtout rester focalisés sur l’expérience des participants. Investir dans des équipements, si onéreux soient-ils, ne suffit malheureusement pas à garantir le succès d’un événement hybride.
Les professionnels doivent désormais repenser l’expérience qu’ils entendent proposer aux participants, à la fois sur place et derrière leurs écrans. S’agit-il simplement d’assister passivement à des conférences à distance, sans possibilité d’interagir avec les intervenants et encore moins avec les autres invités ? Quelle valeur ajoutée reste-t-il aux professionnels qui ont fait le déplacement jusqu’au centre des congrès pour les inciter à assister à la prochaine édition ? A fortiori quand le retour en présentiel sera encadré par des contraintes sanitaires strictes, et cette distanciation sociale peu propice au contact humain…
La conférence PCMA organisée en janvier à Singapour aura eu le mérite de donner un avant-goût de la nouvelle réalité auxquels devront s’adapter les participants « in situ » à des événements hybrides. Sur scène, la vitrine high-tech et ses installations dernier cri : hologrammes, écrans géants, studio digne d’un plateau télé. En salle, une stricte répartition par zones hermétiques, des participants escortés jusqu’à leur place attitrée et des invités internationaux répartis par bulles tout aussi hermétiques de quatre ou cinq personnes pour la durée de leur séjour, rythmé par les tests PCR et les prises de température. Un parcours forcément contraignant, mais inévitable dans le contexte actuel.
Cette expérience inédite pour les 300 invités réunis au Marina Bay Sands, les 3000 spectateurs online qui suivaient les débats derrière leur écran ne l’auront probablement pas perçue. Or c’est aussi là que réside le défi hybride : la gestion de deux « expériences » parallèles, et la capacité à satisfaire les participants sur site et virtuels, voire à les « réunir ». Les meilleurs « keynote speakers » et les technologies les plus abouties ne peuvent suffire à créer cet amalgame entre participants, ces échanges business ou informels, ce sentiment d’avoir partagé un moment enrichissant.
Pour mieux impliquer les participants en ligne, les organisateurs peuvent bien sûr compter sur la technologie. Dans le sillage de Sli.do, de nombreux outils ont émergé pour sonder l’audience en direct – aussi bien en présentiel qu’en distanciel -, recueillir des questions et des témoignages, ou encore générer des nuages de mots. D’autres initiatives misent moins sur la technologie que sur le service. A l’image de l’Office National Allemand du Tourisme, qui organisait récemment une conférence en ligne en faisant livrer un déjeuner traiteur sur le lieu de travail des 50 premiers inscrits. Une piste intéressante non seulement pour convaincre les indécis, mais aussi pour aller plus loin que le prisme de la webcam, en sollicitant d’autres sens pour proposer une véritable expérience collective.
Le volet restauration compte d’ailleurs parmi les transformations à prendre en compte d’un point de vue budgétaire. « Les événements hybrides introduisent un certain nombre de nouveaux facteurs à prendre en considération lors de la budgétisation », rappellent les auteurs du guide Hybrid Meeting Insights publié en février dernier par Marriott. « Ils permettent de réaliser des économies, par exemple parce que les participants virtuels n’auront pas besoin des services traditionnels de restauration. Ils offrent de nouvelles possibilités de revenus, car la possibilité de participer virtuellement permet d’atteindre un public plus large, et parce que cette dimension numérique ouvre de nouvelles options attrayantes pour les parrainages qui peuvent aider à compenser les coûts. Néanmoins, il existe des dépenses supplémentaires – telles que celles liées aux technologies avancées et à la qualité de la production – qui se traduisent par un coût total similaire ou supérieur à celui des événements organisés en personne ».
Nouvelles économies, nouvelles destinations ?
Au-delà de cette adaptation des organisateurs au format hybride – qui nécessitera, pour beaucoup, un temps d’apprentissage -, l’avènement du virtuel pose des questions stratégiques et surtout économiques pour les infrastructures d’accueil. A commencer par les centres de congrès, dont la surface disponible risque bien de devenir disproportionnée pour quelque temps si elle ne se destine qu’aux congressistes…
Dans un monde idéal, au moins pour les organisateurs, une fois le chapitre Covid définitivement clos les événements hybrides rassembleraient le même nombre de participants sur site que dans les années 2010, en y ajoutant une vaste audience en ligne à l’échelle mondiale. Dans une version plus pragmatique, il faut s’attendre à ce que la part du online grignote celle du présentiel, contraignant les centres de congrès à explorer de nouvelles pistes.
« Dans le passé, notre valeur était de disposer d’un vaste espace dans le centre de Singapour, convient Arun Madhok chez Suntec. Les choses évoluent. Je regarde aussi le domaine des attractions par exemple, car il faut pouvoir s’adresser à une clientèle locale. Jusqu’ici, les centres de congrès pouvaient fonctionner simplement en vendant leur espace. Aujourd’hui plus que jamais, il faut trouver des partenaires pour rendre cet espace spécial, puis partager le revenu généré« .
Une tendance déjà intégrée par un acteur comme le centre de convention londonien Olympia, en passe d’achever un vaste plan de modernisation et surtout de reconversion. En plus du volet « studieux » (conférence, bureaux, coworking…) le site intégrera restaurants, commerces, cinéma, salle de concerts et théâtre, en plus d’un jardin en rooftop… A l’instar des groupes hôteliers, les centres de congrès pourraient ainsi cibler davantage la population locale, et par la même occasion offrir un environnement « bleisure » aux congressistes. Nouveaux hôtels à l’esprit lifestyle, toit-terrasse avec ferme urbaine et restaurant, gestes architecturaux signés Jean Nouvel, volonté d’ouverture sur la ville : la métamorphose de Paris Expo Porte de Versailles va aussi dans ce sens.

Plus largement, les destinations elles-mêmes pourraient bien être amenées à se réinventer. Avec l’hybride, les critères géographiques des organisateurs évoluent. La capacité hôtelière, les dessertes aériennes, les tarifs n’orientent plus la sélection de la même manière si la majorité de l’audience passe au virtuel. Certaines destinations ont déjà pris la mesure de cette nouvelle donne. En témoigne la création d’une Hybrid City Alliance le 16 décembre dernier. Ce club encore restreint – l’alliance réunit Genève, La Haye, Ottawa, Prague et Durban – prône une stratégie multi-hubs qui pourrait bien devenir la norme. En clair, au lieu de réunir 5000 participants en un seul et même lieu, il s’agira de privilégier une approche inter-régionale et des formats présentiels plus restreints, mais coordonnés. Autant de nouvelles configurations, de nouvelles options nées de contraintes inédites, et qui pourraient bien transformer l’industrie du MICE au cours des prochaines années.
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