Aérien et durable : technologie doit rimer avec pédagogie d’après la Chaire Pégase

La Chaire Pégase a sondé les voyageurs français pour mieux cerner leur perception des innovations vertes dans l'aérien. Un gros travail de pédagogie reste nécessaire.
Chaire Pégase
La Chaire Pégase a réuni les représentants d'ADP, de la DGAC et d'Air France pour faire le point sur l’acceptabilité des innovations vertes dans le secteur aérien.

La Chaire Pégase, dédiée à l’économie et au management du transport aérien et rattachée à Montpellier Business School, présentait mardi son nouveau rapport consacré à l’acceptabilité des innovations vertes dans le secteur aérien. Et pour un événement organisé à Roissy durant un mois de mai qui n’est pas le plus studieux, l’audience réunie à la Maison de l’environnement et du développement durable de Paris CDG pourrait attester d’un fort intérêt du public pour la problématique. Oui mais… Les résultats de l’étude menée auprès d’un millier de Français ont plutôt tendance à pointer une confortable marge de progression, et un impératif pédagogique pour faire comprendre, accepter et financer les leviers technologiques ad hoc.

Ainsi, les quatre types d’innovations en question, sélectionnés par les auteurs de l’étude – nouveaux designs (ex : ailes volantes), nouveaux types de moteurs (open rotors), nouveaux types de carburants (SAF) ou nouvelles formes d’énergie (hydrogène) – demeurent trop souvent méconnus du grand public. « Personne ne sait ce que sont les SAF en dehors de cette salle », ironisera Paul Chiambaretto, directeur de la Chaire Pégase, en amont de la table ronde organisée mardi. « Ce qui me frappe, c’est qu’il n’y ait que 29% des répondants qui connaissent les carburants d’aviation durable, confirme Amélie Lummaux, Directrice du développement durable et des affaires publiques du Groupe ADP. Ca me frappe parce que c’est une innovation qui est déjà technologiquement disponible. (…) On a des obligations réglementaires, on est déjà dans un certain degré de maturité. Et pourtant, la connaissance de ce levier de décarbonation est extrêmement faible. Je pense que c’est à la fois un appel pour nous à une meilleure communication. C’est aussi sans doute révélateur du fait que c’est une communication qui est portée par les acteurs du transport aérien, et que du côté des énergéticiens, c’est encore une transition qui ne fait pas partie de leur axe stratégique fondamental ».

Pourcentage des Français qui ont déjà entendu parlé des innovations

Au-delà de cette méconnaissance des nouvelles technologies, le rapport de la Chaire Pégase pointe la faible implication du public français sur le lien entre aérien et développement durable. Certes, les sondés semblent être prêts à payer davantage pour voler avec une compagnie qui utiliserait ces avancées technologiques, à hauteur de 15% supplémentaire par billet en moyenne. Mais de là à réduire le nombre de vols, la marche semble encore trop haute pour certains. Et tout particulièrement pour les grands voyageurs, dont les voyageurs d’affaires. Parmi les sondés qui ont pris l’avion plus de 12 fois au cours des douze derniers mois, plus d’un quart de ces grands voyageurs (27%) envisage même de voler davantage dans les cinq prochaines années ! Et 18% de ces voyageurs pensent voler autant. Néanmoins, on pourra retenir qu’une petite majorité des grands voyageurs (54%) comptent réduire leurs déplacements en avion.

Des chiffres que l’on peut rapprocher d’un autre point de l’étude : d’après la Chaire Pégase, le flight shaming – cette honte de prendre l’avion qui aurait émergé ces dernières années – ne concerne finalement qu’une faible part de la population, au moins au niveau français. Seuls 12% des sondés auraient éprouvé ce sentiment. Alors que 67% des Français le rejettent.

Si le rapport publié mardi ne zoome pas spécifiquement sur la clientèle affaires, la table ronde qui aura suivi sa présentation aura tout de même livré quelques enseignements. Interrogé sur la capacité de la clientèle entreprises à payer plus pour impacter moins, Paul Chiambaretto rappelle ainsi que « les études montrent que quand on voyage pour un motif professionnel on est moins sensible aux variations de prix. Et donc que si le prix augmente, cela n’aura pas autant d’impact sur la demande. Pour autant, ces dernières années nous ont montré que les entreprises font de plus en plus attention aux dépenses de leurs voyageurs ».

De son côté, Vincent Etchebehere se veut transparent : « Les billets d’avion de demain vont coûter plus cher », résume le Directeur du développement durable et des nouvelles mobilités chez Air France. « Aujourd’hui, le SAF coûte à l’achat pour les compagnies aériennes entre trois et cinq fois plus cher que le kérosène. Donc il est strictement impossible pour les compagnies d’absorber ces coûts sans en appeler à la contribution de leurs clients ». Evoquant les options de contribution volontaire, Vincent Etchebehere en convient : « une petite minorité de nos clients ont recours à cette option, sûrement aussi parce qu’elle n’est pas assez visible, pas assez comprise : il y a des efforts [à fournir] en termes de pédagogie sur les SAF. Pour que nos clients achètent de manière volontaire du SAF, il faut qu’ils comprennent bien ce que c’est. On a encore pas mal de travail à faire ». Vincent Etchebehere précise par ailleurs : « il y a aussi l’achat volontaire de la part de nos clients entreprises. Ces clients sont de plus en plus sensibles et intéressés par le fait de nous acheter du SAF via une offre spécifique BtoB. Cela leur permet de réduire leurs émissions de scope 3, donc les émissions indirectes dans lequel les émissions liées au business travel entrent en compte. Cela reste une offre naissante. A nous de mieux faire connaitre à nos clients entreprises ce que sont les SAF et comment cela peut être intégré à leur comptabilité carbone ».

En marge des efforts fournis par le secteur aérien, au-delà des investissements nécessaires, les acteurs du dossier – au sens large – ne pourront visiblement faire l’impasse sur un gros travail de pédagogie. C’est à ce prix – et avec le risque corollaire de se voir accoler l’étiquette « green washing », à tort ou à raison – que l’ensemble de la population embarquera avec eux. Le chemin vers une aviation plus durable est long, et semé d’embûches.