
Lente à démarrer, la production de carburant aérien durable prend toujours plus d’ampleur face à une demande croissante des compagnies et, surtout, la perspective de réglementations plus contraignantes quant à son incorporation dans les avions. Avec une réduction de 65 % des émissions de CO2 par rapport au kérosène pour les carburants actuels et -88 % en ce qui concerne les carburants de synthèse, le SAF – pour « sustainable aviation fuel » – est en effet une des clés de la transition énergétique du secteur. Une solution estimée par Bernard Pinatel, directeur général de la branche Raffinage-Chimie de TotalEnergies, comme « la plus efficace pour réduire immédiatement les émissions de CO2 du transport aérien.«
Selon le règlement européen ReFuelEU Aviation, la part de SAF issu aujourd’hui d’huiles usagées, de biomasse ou de résidus de graisse animale, a été fixée à 2 % en 2025 et 6 % en 2030, avant de passer à la vitesse supérieure pour atteindre 32 % en 2040 et 63 % en 2050. Une accélération qui sera permise par l’arrivée à maturité technologique des « e-fuel », des carburants durables de synthèse produits à base d’électricité et d’hydrogène décarbonés. Certains pays vont encore plus loin, comme le Royaume-Uni qui exigera l’incorporation de 10 % de SAF dès 2030.
Mais si l’Union Européenne ou d’autres états ont fixé des obligations aux compagnies, encore faut-il que l’infanterie suive. Notamment en France, en retard sur ce sujet par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis notamment. Lors d’une table ronde de la FNAM en début d’année, les acteurs du transport aérien français s’en inquiétaient d’ailleurs et en appelaient à l’Etat pour assurer le développement de cette filière essentielle au secteur. « Pour décarboner le secteur de l’aviation, il est essentiel de développer, produire et distribuer des carburants durables à des prix abordables et en quantité suffisante pour approvisionner les compagnies aériennes« , soulignait plus globalement Javier Sanchez-Prieto, PDG d’Iberia.

Alors que TotalEnergies avait pris part en juin dernier aux Connecting Europe Days en avitaillant 11 vols bas carbone à l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, la compagnie pétrolière a l’ambition de devenir un grand acteur du carburant aérien durable. Fin septembre, TotalEnergies et SARIA, spécialisé dans la collecte et la valorisation de matières organiques, ont conclu un accord pour développer cette solution sur la plateforme de Grandpuits, en Seine-et-Marne. Une ancienne raffinerie, reconvertie dans le cadre d’un projet « zéro pétrole », et qui aura une capacité de production de carburant aérien durable de 210 000 tonnes par an, soit 25% de plus que le projet initial annoncé en 2020.
Une chose est sûre, la question de la disponibilité du SAF face aux besoins croissants du secteur devrait se poser tôt ou tard. Il n’est pas étonnant, dès lors, de voir les compagnies sécuriser leur approvisionnement, avec des investissements qui ont pour effet positif de soutenir le développement de la production grâce à leurs investissements. Ces derniers jours, easyJet annonçait, dans la cadre de sa stratégie « zéro émission nette » en 2050, avoir passé un contrat avec Q8Aviation pour garantir son approvisionnement pour les cinq ans à venir. De son côté, Cathay Pacific en faisait de même avec la société gazière américaine Aemetis, qui développe une usine en Californie, à Riverbank, pour produire du carburant durable sur la base de 40 % de SAF et de 60 % de jet fuel A-1.
Cet accord, qui porte sur sept ans, ne se matérialisera qu’à partir de 2025, année à partir de laquelle Aemetis s’est engagé à fournir 145 millions de litres à la compagnie de Hong Kong, soit la perspective d’une réduction de 80 000 tonnes de ses émissions carbone. « Notre objectif est d’atteindre 10 % d’utilisation de SAF d’ici 2030, a déclaré Augustus Tang, directeur Général de Cathay Pacific. Et nous avons élaboré une solide stratégie d’approvisionnement en SAF pour nous aider à atteindre ces objectifs. »
Des carburants en quantité suffisante et à prix abordables ?
Dans les faits, ce partenariat s’inscrit dans un cadre plus large, celui d’un accord conclu fin 2021 entre Aemetis et l’alliance oneworld, dont Cathay Pacific est un des membres fondateurs. Un accord qui concerne les opérations des 10 compagnies de l’alliance à l’aéroport de San Francisco et qui porte sur 1,3 million de tonnes de litres de SAF. En parallèle, l’alliance a aussi finalisé en mars dernier un contrat avec un autre fournisseur américain, Gevo, pour la mise à disposition de 750 millions de litres à partir de 2027, ceux-ci destinés aux aéroports de San Diego, San Francisco, San Jose et Los Angeles. « Nous nous sommes engagés, en tant qu’alliance, à atteindre un objectif de 10 % de carburant aviation durable d’ici 2030, a déclaré Rob Gurney, PDG de oneworld, remarquant « la valeur qui peut être apportée lorsque nos compagnies membres travaillent ensemble.«
Mais les compagnies cherchent aussi à s’approvisionner chacune de leur côté. Chaque mois ou presque de 2022 est venu alimenter l’histoire de cette ruée vers le carburant durable. En janvier, Iberia a par exemple formé un partenariat stratégique avec le fournisseur Cepsa. En février, c’est Virgin Atlantic qui passait un accord avec le producteur finlandais Neste Oyi pour la fourniture de carburant durable à Londres Heathrow. Et ainsi de suite avec Qantas qui a annoncé en juin son association avec Airbus pour le lancement d’une filière de production en Australie, Aer Lingus qui dévoilait en juillet son partenariat avec Gevo pour ses vols au départ de Californie ou le fournisseur Neste qui est devenu partenaire d’Aegean Airlines ou Air New Zealand au courant de l’été.

Plus globalement, Lufthansa précisait en août être entré en discussion en août avec Shell pour une fourniture de SAF au plan mondial. Un contrat qui porterait sur 1,8 million de tonnes de SAF entre 2024 et 2030 s’il devait être signé. En revanche, et le retard de production de SAF dans l’Hexagone n’y est pas étranger, une compagnie comme Air France, qui se conforme à la réglementation française d’incorporation de 1% de SAF dans ses vols au départ de France et a pour objectif d’utiliser 10% de SAF au plan mondial en 2030, n’a pas encore annoncé de méga commande de carburant durable comme ont pu le faire d’autres transporteurs.
En revanche, concernant l’aviation d’affaires, Le Bourget est le seul aéroport en Europe à disposer de deux stations de SAF permanentes, l’une proposée par TotalEnergies depuis le milieu d’année 2021 et l’autre de World Fuel Services, distributeur des carburants produits par Neste, installée en juin dernier. Mais cette proposition de SAF devrait à terme être étendue aux deux autres grands aéroports parisiens d’Orly et CDG. « Nous sommes parties prenantes de six projets de développement de carburants alternatifs durables en France, souligne Amélie Lummaux, directrice du Développement durable et des Affaires publiques du Groupe ADP. Le but est de faire émerger, au plus tard en 2025, une production de carburant durable en France capable de desservir les aéroports parisiens.«
Un développement jusqu’à plus SAF
Car les hubs s’affairent également pour la fourniture de SAF sur leurs plates-formes. Tandis que Aeroportos de Portugal a formé cet été une alliance avec la compagnie TAP et le fournisseur Galp, les aéroports de Berlin, Istanbul, Liverpool, Londres Gatwick et Milan Bergame ont, eux, conclu des accords avec Q8 Aviation. De son côté, Shell, qui a pour objectif de produire de produire 2 millions de tonnes de SAF chaque année d’ici 2025, fournit ses services sur le hub de Singapour Changi. Aux Etats-Unis, depuis juin, c’est même un pipeline qui délivre directement du carburant durable depuis l’usine de production de Neste au Texas jusqu’à l’aéroport new-yorkais de La Guardia, en partenariat avec la compagnie Delta.
L’essor du SAF s’inscrit aussi dans l’évolution des voyages d’affaires. Ainsi Shell s’est-il allié à l’agence American Express GBT et Accenture pour proposer aux entreprises une plate-forme blockchain, baptisée Avelia, pour limiter l’empreinte carbone de leurs déplacements professionnels en leur permettant d’acheter du SAF. Soutenant par là même la viabilité économique de la filière, cette alliance porte en phase pilote sur 4 millions de litres, soit l’équivalent de 15 000 vols Londres-New York. « Une voie viable pour décarboner le transport aérien est désormais ouverte aux entreprises« , a déclaré Paul Abbott, PDG d’Amex GBT, lors de l’annonce de l’alliance cet été. Dans le même ordre d’idée, Cathay Pacific et All Nippon Airways en Asie, mais aussi Air France-KLM en Europe proposent des options de carburant d’aviation durable à leurs clients grands comptes. Une contribution volontaire lancée début 2021 et qui a déjà séduit une soixantaine de sociétés.