Coronavirus : interview du Dr Philippe Guibert, International SOS

Face à l'inquiétude qui entoure le coronavirus dépisté en Chine, le docteur Philippe Guibert, directeur médical régional d'International SOS, fait un point sur la situation. Pour lui, aucune raison d'annuler les déplacements professionnels en Chine, à condition de respecter certaines précautions.
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Dr Philippe Guibert, directeur médical régional Consulting santé pour International SOS.

Que sait-on du coronavirus détecté en Chine, et que reste-t-il à définir ?

Philippe Guibert – Depuis le 30 décembre, les autorités chinoises à Wuhan ont constaté une augmentation du nombre de pneumonies, d’infections respiratoires, avec des cas groupés de personnes qui auraient fréquenté le même marché. Le nombre de cas a augmenté ces derniers jours, et on a donc cherché à identifier l’agent responsable. Après avoir éliminé les diagnostics évidents, les autorités ont dépisté un nouveau virus, de la famille des coronavirus – baptisés ainsi en raison de la forme de couronne observable au microscope. Ce sont des virus que l’on connaît très bien car ils sont responsables d’infections très banales de type rhume ou grippe pendant la saison hivernale sous nos latitudes, mais qui sont aussi responsables d’infections pulmonaires graves. Cela nous rappelle à tous ce que l’on avait observé en 2002-2003 avec le SRAS, le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère, qui était lié à un nouveau coronavirus qui avait émergé en Chine avant de diffuser à travers la planète depuis Hong Kong. C’est donc un virus de la même famille qui a été identifié il y a quelques jours. On constate une augmentation de cas liés aux personnes qui ont fréquenté ce marché, mais aussi à des personnes qui se sont contaminées entre elles, ce que l’on appelle de la transmission interhumaine, pour laquelle nous n’avions pas de confirmation jusqu’à lundi. Maintenant, nous avons la preuve qu’une personne infectée peut transmettre la maladie à une personne qui ne l’est pas. Cette transmission interhumaine a aussi été constatée avec du personnel soignant, médecins ou infirmières. Ce sont des caractéristiques que l’on avait déjà remarqué lors d’autres épidémies de coronavirus, comme le SRAS ou le MERS (Middle East Respiratory Syndrome). Nous sommes donc face à un nouvel agent, qui commence à se propager avec des cas à Pékin, Shenzen, et dans des pays voisins. La situation évolue rapidement, c’est la raison pour laquelle l’OMS se réunit mercredi [le 22 janvier, ndlr], qui pourrait conclure à une urgence de santé publique de portée internationale. Cela signifierait que tous les pays seraient amenés à mettre en place des mesures proportionnées, avec des contrôles aux frontières, la préparation d’hôpitaux ou de services capables d’accueillir les patients suspects, des isolations, voire de la quarantaine, et la mise en place de moyens de diagnostic permettant d’infirmer ou de confirmer des cas.

La Chine de 2020 n’est pas la Chine de 2002

Le souvenir du SRAS doit-il inciter à la panique, ou au contraire rappeler que l’on a tiré les leçons du passé et pris les mesures nécessaires ?

Philippe Guibert – Il n’y a aucun lieu de paniquer. La Chine de 2020 n’est pas la Chine de 2002. D’ailleurs, en quelques jours, non seulement les autorités compétentes ont eu la capacité d’identifier ce coronavirus et l’ensemble de sa séquence génétique, et de la partager auprès de la communauté scientifique internationale. Les moyens de diagnostics, de prise en charge, de communication ne sont pas du tout les mêmes. On a tiré les leçons du passé, non seulement en Chine mais aussi à l’échelle internationale. En 2005, une nouvelle version du règlement sanitaire international a été mise en place, qui justement vise à encourager les pays à être mieux préparés à ce genre d’événements. Quant à savoir si cet événement ressemblera au SRAS, à plus grande ou plus petite échelle, il serait tout à fait infondé de le dire aujourd’hui. Il est trop tôt : on ne connaît pas encore la période d’incubation, le profil de contagiosité, la transmission exacte… Il n’y a pas de raison de paniquer aujourd’hui. Il faut par contre être extrêmement vigilants, éviter de se déplacer dans des lieux comme ces marchés avec des animaux morts, avoir une hygiène des mains absolument irréprochable, éviter d’être en contact avec des personnes malades, et consulter immédiatement un médecin en cas de symptômes, a fortiori si l’on revient d’un déplacement à Wuhan ou en Chine. Pour autant, personne ne recommande aujourd’hui d’annuler les voyages en Chine.

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Les entreprises sont-elles préparées ?

Philippe Guibert – Il est un peu tôt pour le dire, mais les entreprises ont appris des crises précédentes, en mettant en place des plans de préparation, de communication, d’information, des outils de localisation des voyageurs, de prise en charge et d’assistance.

Le pays dans lequel a été décelé ce coronavirus, et notamment l’approche du Nouvel an chinois, est-il un facteur aggravant ?

Philippe Guibert – Le nouvel an chinois et les fêtes du printemps qui suivent sont effectivement un facteur de dissémination de maladie. C’est une vraie question : y aura-t-il un effet multiplicateur, ou est-ce que les mesures de dépistage, de screening, de prise de température, d’isolation seront telles que l’on enrayera une éventuelle propagation en Chine ou au-delà ? Pour l’instant c’est totalement spéculatif. D’autant que les gens se déplacent beaucoup en Asie et peuvent avoir été contaminées sans le savoir, voyager et développer les symptômes dans les jours qui suivent. Il faut donc s’attendre à davantage de cas, dans d’autres pays de la région, voire au-delà. L’aéroport de Wuhan est connecté en vol direct sur trois aéroports aux Etats-Unis. Il y a donc un potentiel de propagation au niveau régional mais aussi international, comme on l’avait vu avec le SRAS en 2003.

les rumeurs circulent plus vite que les virus

Faut-il annuler les déplacements professionnels en Chine ?

Philippe Guibert – Les annulations de déplacements ou de réunions n’ont pas lieu d’être, à condition de suivre des mesures de bon sens. Si l’on se rend en Chine pour des raisons professionnelles, on évite de toutes façons les petits marchés en question, généralement…

Les mesures adoptées dans certains aéroports vous semblent-elles adaptées ?

Philippe Guibert – Oui, bien sûr. D’ailleurs, les cas dépistés à Bangkok ou à Incheon l’ont été grâce aux portiques de détection de la température corporelle. Un Etat ne peut pas rester les bras ballants face à ce genre de pathologie.

Quel enseignement tirer des crises précédentes ?

Nous en avons appris l’importance de l’information. La notion de panique n’est pas justifiée, et peut être motivée par un manque d’informations, ou l’accès à de fausses informations, non vérifiées. L’enjeu c’est de partager de l’information factuelle le plus rapidement et le plus souvent possible. C’est à partir de ces informations factuelles que les individus peuvent prendre les bonnes décisions, et que les managers peuvent baser leur réponse. C’est un élément clé, car comme on le sait, les rumeurs circulent plus vite que les virus…