Sophie Hulgard (Accor) : « Chaque marque aura une offre MICE plus clairement définie »

Nouvelle organisation, offre mieux définie pour les réunions et événements, bleisure : Sophie Hulgard, directrice générale des ventes d'Accor, revient sur la place du MICE pour son groupe et les tendances actuelles du voyage d'affaires.
Sophie Hulgard, directrice générale des ventes du groupe Accor.
Sophie Hulgard, directrice générale des ventes du groupe Accor.

Comment se décline, côté ventes, la nouvelle organisation du groupe Accor, désormais séparé en deux divisions, l’une concernant les hôtels économiques, milieu de gamme et premium et l’autre les segments luxe et le lifestyle ?

Sophie Hulgard – Tout d’abord, précisons que notre direction des ventes est une des seules à avoir un périmètre couvrant toutes nos marques. Vis-à-vis d’un gros client, ça n’aurait pas de sens de lui proposer tels ou tels hôtels économiques ou premium, et non les Fairmont, Hoxton, Sofitel ou SLS. D’autre part, nous avons créé une nouvelle entité qui gère à peu près 200 grands comptes internationaux, ceux dont les besoins sont répartis de par le monde. Ensuite, un cran en dessous, nos quatre hub régionaux gèrent leurs propres clients qui, pour certains, peuvent être de très gros clients pour Accor, mais qui sont très locaux. Je pense par exemple à la Deutsche Bahn en Allemagne, dont les attentes sont essentiellement domestiques. Tout est en train de se mettre en place, mais nous avons une idée claire sur l’organisation la plus intéressante pour nos clients.

Cette nouvelle organisation peut-elle aussi avoir un effet sur l’offre MICE de vos marques, c’est-à-dire l’offre dédiée aux réunions et événements ?

Sophie Hulgard – Dans le cadre de cette nouvelle organisation, chaque marque aura une offre plus clairement définie. Certaines seront beaucoup plus tournées vers la clientèle individuelle, quand d’autres seront plus orientées MICE, comme Pullman par exemple. Nous avons pour ambition de développer cette marque comme une de nos enseignes phares pour les gros meetings, avec de grandes salles, de belles ballrooms. Novotel restera toujours une marque importante pour les réunions, mais avec des capacités moindres que Pullman. Quant à nos marques de luxe comme Sofitel ou Fairmont, leurs propositions seront plus précises. Tandis que les hôtels Fairmont sont déjà habitués à recevoir de grands événements de prestige, Sofitel s’oriente vers des événements sur mesure, personnalisés. Cette offre mieux définie nous permettra de mieux expliquer nos marques à nos clients. Dès lors, il leur sera plus facile de comprendre où organiser telles réunions, tel type d’événement.

De quelle manière allez-vous clarifier l’offre de vos marques ?

Sophie Hulgard – Notre offre MICE est encore très liée à ce que propose chaque hôtel. Nous aimerions qu’elle soit beaucoup plus claire pour l’ensemble d’une marque. D’où la redéfinition de standards, à la manière de Fairmont, qui est en avance sur ce sujet. Il y en a eu chez Pullman, mais qui ne sont plus au goût du jour et que nous sommes en train de revoir complètement. Cette redéfinition des standards MICE est une de mes priorités dans les années à venir. Sans doute pas pour nos 46 marques, mais au moins pour nos deux marques iconiques, Novotel et Pullman, et nos enseignes premium. C’est un gros challenge opérationnel.

The Hoxton Bruxelles.

Les marques lifestyle, un des axes forts de votre groupe ces dernières années, ont-elles aussi leur place dans ce cadre ?

Sophie Hulgard – Il serait intéressant de développer une offre meetings & events qui leur ressemble. Ce que recherche le voyageur individuel chez Mama Shelter, 25Hours ou The Hoxton – un esprit unique, une personnalité propre à chaque établissement – pourrait être décliner aux réunions et événements. Prenez les 25Hours, ils n’ont pas tous des espaces de réunions, mais là ils en ont, ce sont des lieux très créatifs, très lounge, différents de ce qu’on voit ailleurs. En travaillant avec nos marques lifestyle sur le développement d’une offre MICE, nous nous rapprocherions sans doute plus de ce que propose Châteauform’ que Novotel. Ce genre de concept fort, peaufiné, nous pourrions le recréer à notre façon dans nos hôtels lifestyle, sous une autre forme.

Parlons un peu de la clientèle affaires en général. Le marché corporate a-t-il retrouvé son niveau d’avant la pandémie ?

Sophie Hulgard – En ce qui concerne les voyages d’affaires individuels, nous sommes pratiquement revenus à l’équilibre, avec encore un léger écart de -5% au plan mondial. Mais, souvenez vous, on disait à l’époque que le voyage d’affaires n’allait jamais revenir au même niveau ou, au mieux, pas avant 2025 en tout cas. Donc c’est plutôt positif, d’autant qu’en parallèle de la fréquentation en hausse de nos hôtels, nous avons atteint des revenus supérieurs à ceux de 2019 grâce à des prix de chambres plus élevés. Une croissance tarifaire en ligne avec la hausse des coûts pour nos hôtels, notamment ceux de l’énergie et des salaires. Ce point est bien accepté par nos clients en règle générale, eux-mêmes l’appliquant à leurs propres produits. En outre, compte tenu de ces prix plus élevés, nous nous attendions à voir une descente en gamme, par exemple des clients habitués à aller dans des quatre étoiles qui se reporteraient vers les trois étoiles, les Ibis. Ce qui n’a pas été le cas. Nos clients ont absorbé la hausse des prix en voyageant un petit peu moins.

Qu’attendez-vous pour l’année à venir ?

Sophie Hulgard – Je pense que ça va stabiliser. Nos clients ont tous plus ou moins retrouvé leur activité de 2019. Le rythme de voyages d’affaires devrait rester équivalent l’année prochaine. Il y a en revanche une petite incertitude concernant les groupes en 2024. Selon l’analyste STR, la demande, qui avait explosé juste après la levée des restrictions, est en train de se tasser aux États-Unis.

Cela s’explique-t-il par un tassement de l’effet « télétravail », qui a soutenu le besoin de réunir ses équipes ?

Sophie Hulgard – Le développement du télétravail participe à faire que nous restions en dessous du niveau de 2019 pour les nuitées générées par les voyageurs individuels. Mais il n’a pas d’influence sur la demande de groupes. Au contraire, le besoin de se réunir est toujours fort. Les voyages pour des séminaires ou des congrès continuent à se développer. Pour autant, je pense que ce tassement évoqué par STR n’est pas faux. Il y a, encore aujourd’hui, un effet de rattrapage des événements annulés en 2020 et en 2021. En fin de compte, même en restant à ce niveau, c’est très acceptable, d’autant qu’on arrive souvent à des saturations en juin et septembre, les gros mois pour les meetings.

Salle de réunion du futur Pullman Lyon, attendu cet hiver dans la tour To Lyon.

Pour revenir au télétravail, certains analystes évoquaient une nouvelle tendance, avec des jours de fin de semaine, traditionnellement peu fréquentés, et qui sont maintenant plus demandés. Le constatez-vous ?

Sophie Hulgard – Les statistiques de STR le montrent nettement, avec des pics les vendredis et les lundis, des jours qu’on ne vendait pas aux voyageurs d’affaires auparavant. Maintenant, ce sont de grosses journées, alors qu’en milieu de semaine, les hôtels ont plus de mal à se remplir. Aujourd’hui, les gens n’ont pas la nécessité d’être au bureau les lundis et vendredis. D’où ce développement croissant du bleisure avec de longs week-ends mêlant télétravail les vendredi et lundi et loisirs les samedi et dimanche.

La vie de bureau se concentre en effet sur les jours de milieu de semaine aujourd’hui. Cela peut-il aussi avoir un impact sur l’organisation des réunions ?

Sophie Hulgard – Il est vrai que nous voyons aujourd’hui de plus en plus de demandes de groupes pour les jeudis et vendredis, alors qu’avant, on évitait à tout prix le vendredi afin de laisser aux participants le temps de rentrer chez eux le vendredi soir. Il y a plus de flexibilité à ce niveau. Moi-même, alors que je ne plaçais jamais de meetings en fin de semaine, il m’arrive de demander à mes équipes si elles ont envie de terminer une réunion le vendredi soir, pour pouvoir prolonger sur le week-end.

Autre tendance d’actualité, la RSE devient-elle un argument clé pour séduire les organisateurs de réunions et événements ?

Sophie Hulgard – Selon une de nos agences clientes, avec qui je discutais récemment, leurs clients veulent voir cet aspect pris en compte dans les appels d’offres. Mais, s’ils trouvent un meilleur prix ailleurs, ils ne sont pas fermés à ce genre de propositions. Cependant, j’ai l’impression que ça va changer, que les clients vont davantage choisir en fonction du degré d’écoresponsabilité que l’hôtel peut offrir. Accor a l’avantage d’avoir déjà fait des pas de géant dans ce domaine là, mais il y a encore beaucoup de choses à faire en ce qui concerne les réunions. J’aimerais par exemple pouvoir démontrer aux clients que leur événement serait beaucoup plus écoresponsable s’ils choisissaient telle ou telle option, pourquoi pas pousser des offres végétariennes. 

Fairmont Carton House, près de Dublin.

La tendance, évoquée pendant la pandémie, à voir plusieurs meetings régionaux remplacer la grande convention annuelle prend-elle corps ?

Sophie Hulgard – Je n’ai pas cette impression. Je pense plutôt que les entreprises évitent de faire de gros meetings, limitent le nombre des participants et les déplacements en tenant l’événement une année en Europe, l’année suivante aux Etats-Unis. De plus en plus de petits meetings et d’événements de moins grande taille sont aussi organisés au sein d’un même pays. Ce qui est intéressant pour nos gros marchés comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni.

Venons en à un vieux serpent de mer, la réservation en ligne des réunions. Où en est-on aujourd’hui ?

Sophie Hulgard – Tout le monde sait bloquer 10 chambres, mais pour tout le reste – les pauses et les repas, les espaces meeting et la disposition des salles -, nous avons encore beaucoup de mal à le faire. Ce sera la vraie grande étape. Mais ce ne sera utile que si on arrive à faire du « end to end », c’est-à-dire une demande en ligne pour un groupe incluant les chambres, la restauration, la réservation de salles, le tout avec une confirmation immédiate. Certains acteurs proposent des solutions, mais personne ne le fait vraiment bien. Il n’y a pas encore d’offre véritablement solide. Une plateforme comme Groups360 (NDLR : dont Accor est actionnaire avec Marriott, Hilton et IHG) est assez performante aux Etats-Unis, même si je ne suis pas sûre que ce soit de la réservation en direct à 100%. Et leur offre n’est pas parfaitement adaptée à la demande en Europe. Alors, comme de toute façon, tout le monde est en retard, nous observons le marché avant de pouvoir proposer la solution la plus adaptée à nos hôtels.

Il y a donc une probabilité que nous reparlions encore de ce sujet dans cinq ans ?

Sophie Hulgard – Il faut vraiment que quelque chose se passe. C’est là où l’intelligence artificielle pourrait nous aider à automatiser plus facilement certaines choses. Alors, j’espère ne pas avoir encore cinq ans à attendre ! Possiblement l’année prochaine.