
Depuis l’apparition du Covid-19, les interactions virtuelles sont venues compenser le contact humain bridé par les mesures sanitaires de confinement et de distanciation sociale. Tout à la fois isolées et hyperconnectées, les populations concernées – soit quelque 2,6 milliards de personnes depuis que le confinement est imposé en Inde – se sont ruées sur leurs ordinateurs et leurs smartphones. La Chine, qui fait office de pays-laboratoire depuis que le coronavirus y a fait son apparition, a connu au début du mois de février la semaine la plus importante jamais enregistrée en termes de téléchargements d’applications iOS, d’après les chiffres publiés par App Annie. Et d’après ce spécialiste des données concernant le marché du mobile, ce sont les outils professionnels, favorisant le travail à distance, qui ont connu le plus de succès. Leur nombre de téléchargement aurait été multiplié par deux au cours de la première quinzaine de février par rapport aux taux constatés en 2019, en particulier sous l’impulsion des applications Huawei Cloud WeLink, DingTalk et Zoom Cloud Meetings. L’Empire du Milieu a, en quelque sorte, montré la voie de ce qui devrait être la nouvelle norme professionnelle de ce premier semestre 2020. Ainsi, l’Italie a vu déferler la même vague digitale un mois plus tard. Sur la première semaine de mars, le nombre de téléchargements d’applis business a bondi de 85% par rapport à la semaine précédente, et même de 135% par rapport à la moyenne hebdomadaire des 52 semaines qui avaient précédé. App Annie aurait recensé pas moins de 761 000 téléchargements de ces outils professionnels, un record là aussi.
Parmi ces outils business, les systèmes de visioconférence sont les plus sollicités. A l’image de la star montante Zoom Cloud Meetings, qui occupait il y a une semaine la première place des téléchargements toutes catégories confondues dans pas moins de 35 pays. Cette solution de visioconférence « light » – comprendre gratuite, mais limitée en temps de conversation – surfe logiquement sur la vague du #StayAtHome. Les autres acteurs également. Cisco, l’ancien employeur du fondateur de Zoom, affiche aussi de belles performances, sur un segment plus haut de gamme. Son compte Twitter ne manque d’ailleurs pas de relayer les photos des grands de ce monde recourant à ses outils pour leurs réunions de crise. Ils ne sont pas les seuls : entre l’apparition du coronavirus et le début du mois de mars, le nombre d’utilisateurs de la solution Webex a été multiplié par quatre, voire par cinq au Japon, en Corée du Sud ou encore à Singapour. Et la durée moyenne de visioconférence y a doublé. Skype, Google Hangouts ou Microsoft Teams voient également leur taux d’utilisation grimper en flèche, comme en témoignent les données compilées en Italie par le spécialiste Apptopia. Pour répondre à cette demande exponentielle – et peut-être aussi pour jouer des coudes avec la concurrence des start-up – ces acteurs plus établis ont débloqué des fonctionnalités jusque’ici facturées en supplément. Cisco permet ainsi de réunir jusqu’à 100 participants, et ce sans durée maximum de visioconférence.

Plusieurs questions se posent face à cette virtualisation des échanges professionnels. A commencer bien sûr par la problématique de la cybersécurité et de la confidentialité des données, un challenge auquel vont être confrontées toutes ces entreprises qui ont en quelque sorte décentralisé leur siège dans le salon de chacun de leurs salariés. « Partez du principe que ce qui se passe dans Zoom ne reste pas dans Zoom », souligne ainsi Michael Techer, Responsable de Check Point Software Technologies en France, qui rappelle que « puisque les participants à la réunion peuvent exporter le fichier enregistré, celui-ci peut en fait se retrouver entre des mains malveillantes ».
adoptons les bons usages numériques
Certains observateurs pointent également le risque d’une saturation des réseaux. Car la bande passante n’est pas élastique à l’envi, et les connexions « studieuses » doivent cohabiter avec des usages loisirs qui explosent eux aussi, sans parler des cours à distance dispensés aux élèves. Or, s’il fallait faire un choix, les opérateurs devraient d’abord répondre aux besoins des entreprises et de l’Education Nationale. N’en déplaise aux fans de la Casa de Papel qui misent sur le confinement pour dévorer la nouvelle saison à venir, les comités de direction à distance et autres « conf call » auront donc la priorité… En témoigne le lancement différé de la plateforme Disney+ en France, alors que le contexte du confinement lui ouvrait un public pour le moins captif. Néanmoins, des ajustements ont été effectués par certains opérateurs, à l’image d’Orange qui multiplie par deux la capacité des câbles transatlantiques. De son côté, le Secrétaire d’Etat au numérique en appelle à une forme de « solidarité numérique » : « En début de semaine, le réseau mobile a connu quelques problèmes localement. Avec l’Arcep et les opérateurs, nous veillons à ce que tout le monde puisse utiliser Internet et téléphoner sans problème partout en France. Nous avons aussi besoin que chacun adapte ses habitudes« , explique Cédric O. « Dans cette période, adoptons les bons usages numériques. C’est important pour garantir le bon fonctionnement des réseaux, notamment pour les services de santé ou l’éducation à distance. Mais aussi pour que tout le monde puisse profiter d’Internet sans se priver« . Parmi ces bons usages, il est notamment recommandé de privilégier les réseaux fixes et le Wifi pour la voix et la Data, ou encore d’opter pour les périodes creuses de la nuit pour les téléchargements longs, notamment des mises à jour.

Enfin, à plus long terme, reste à savoir quel sera l’impact de cet épisode sur la culture d’entreprise et le rapport au bureau et aux déplacements professionnels. Après une « période d’essai » ponctuelle pendant les grèves, la pratique du télétravail et de la réunion virtuelle n’a jamais eu autant de temps pour faire ses preuves. Les nouvelles habitudes, méthodes et organisations développées au cours de ces semaines de télétravail vont-elles devenir la norme une fois passée la crise ? Le mélange des genres entre sphères privée et professionnelle, déjà incarné par le bleisure ou le « BYOD », prend une nouvelle dimension. A travers la webcam, le bureau – et les collègues qui vont avec – s’invitent dans le salon de chaque salarié. Guillaume Pellegrin, Président de Tivoli Capital et Fondateur des espaces de travail Newton Offices, témoigne : « Nous avons organisé notre premier AperoCall en visioconférence vendredi dernier avec tous les collaborateurs de Newton Offices de Marseille et Montpellier. L’objectif était de nous voir, même à distance, d’échanger sur notre première semaine, sur nos bonnes pratiques de télétravail, bref d’avoir un contact visuel. Cette manière d’entrer dans la sphère privée de chacun nous a permis de dévoiler une nouvelle facette de nous-mêmes, de mieux nous connaître et de détendre l’atmosphère. Pari réussi, à la demande de nos collaborateurs, cela va devenir un événement récurrent, RDV vendredi prochain« , décrit Guillaume Pellegrin. Déjà pointés du doigt depuis de longues semaines sous l’effet du « flight shaming« , les déplacements professionnels – désormais gelés – passent donc aujourd’hui au révélateur du virtuel. L’occasion de mesurer toute la valeur du fameux contact humain et de son statut vis-à-vis des alternatives proposées par les nouvelles technologies.