« Le voyage, quelque chose de noble » : Yorick Charveriat, VP et DG France d’Amex GBT

Essor du MICE, empreinte carbone, intelligence artificielle : Yorick Charveriat, Vice-président et directeur général France d'American Express Global Business Travel (GBT) fait le point à l'occasion de l'EVP 2023.
Yorick Charveriat Amex GBT
Yorick Charveriat, Vice-président et directeur général France d'American Express Global Business Travel (GBT)

Quel sentiment se dégage à la lecture de ce baromètre EVP 2023 publié cette semaine par Amex GBT ? 

Yorick Charveriat – Je vois du positif, car on sent que l’activité est repartie. Certes, nous ne sommes pas aux niveaux de 2019, mais nous pouvons nous appuyer sur une reprise solide. Il y a bien sûr de petits à-coups, par exemple en cas de grèves. Mais les gens ont envie de voyager, ils ont compris pourquoi ils voyageaient, tout en étant capables d’être un peu plus sélectifs, et tant mieux. Il est temps de passer à l’action, de s’activer sur des points soulevés par le baromètre, en particulier les réservations hôtelières hors canaux et l’empreinte carbone. J’en parle régulièrement avec les clients, qui dans 50% voire 60% des cas ne savent pas où sont leurs collaborateurs. Je pense que le baromètre peut être un bon électrochoc.

Le baromètre témoigne des nombreuses demandes de l’entreprise vis-à-vis de la TMC. N’attend-on pas trop de l’agence ?

Yorick Charveriat – J’ai envie de répondre : demandez-moi tout ce que vous voulez, car cela nous rend d’autant plus indispensable ! Avant le Covid, certains remettaient en question l’utilité de l’agence. Le sujet revenait tout le temps. Plus on nous en demande, plus nous en serons en mesure de procurer des services et d’apporter de la valeur à nos clients. par exemple, 52% des entreprises attendent que l’on apporte une solution de notes de frais intégrée. Ce n’est pas notre cœur de métier initialement, mais tant mieux. Bien sûr, si je peux tenir ce discours c’est aussi parce que Amex GBT a cette solution grâce à Neo, et que nous avons les moyens d’investir. Nous étions sur un marché où nous étions vus pendant de longues années comme une commodité, où il était compliqué de se différencier. Donc aujourd’hui, plus on en demande à l’agence plus nous serons en capacité de montrer ce que nous savons faire, et ce que nous savons mieux faire que d’autres.

Les entreprises sont-elles prêtes à payer pour tous ces services, et selon un business model intéressant pour la TMC ? Le baromètre pointe un retour en force du transactionnel : on range donc au placard la petite révolution que l’on pouvait attendre, voire espérer ?

Yorick Charveriat – Oui, on la range… Mais ce n’est pas grave. Si un client veut des frais à la transaction je le comprends, c’est sans doute beaucoup plus simple pour lui pour allouer les coûts en interne. Par contre il faut que le client comprenne que l’on a besoin d’être rentable. C’est la question de fond. On le voit depuis quelques mois dans les relations avec les clients : il y a de moins en moins de pricing très agressif. Il s’est passé des choses sur notre marché récemment, certaines agences se sont faites épinglées, et maintenant nous sommes « droits dans nos bottes » quand nous allons voir les clients. Nous avons refusé certains contrats, avec des clients qui nous demandaient par exemple des restitutions de commissions. Il y a des deals que nous laissons filer, et nous ne sommes pas les seuls à le faire. On est sur une tendance où les prix, la valeur de l’agence seront mieux reconnus.

Les entreprises semblent attendre beaucoup de la TMC en matière de sustainability, mais paradoxalement agissent encore très peu en interne, d’après le baromètre EVP…

Yorick Charveriat – Le constat est dur, il faut le faire, mais il faut aussi être compréhensif. Pendant des années, on a parlé de l’empreinte carbone, mais c’était bon pour les plaquettes des entreprises. Là, il y a une vraie pression pour des actions concrètes. Il a fallu que les personnes concernées se forment, qu’elles comprennent réellement tout ce qu’il y avait à faire et qu’elles le mettent en place. Et la première des étapes, c’est la mesure. Or sur ce point il y a du progrès. Et étant d’un naturel optimiste, je me dis que nous sommes sur la bonne voie. Mais j’espère que dans le baromètre de l’an prochain on constatera plus d’actions. Le réchauffement climatique est une réalité. Tout le monde en est conscient : les entreprises comme les voyageurs. Donc on va y arriver, mais il va falloir accélérer.

Amex GBT compte donc pousser le dossier sustainabilty au cours des mois à venir ?

Yorick Charveriat – Nous allons prendre notre part, car nous avons tous une responsabilité sur ce dossier. On le doit notamment à nos collaborateurs : il y a une conscience écologique, ils ont besoin de voir que leur entreprise s’engage. J’ai parfois l’impression dans des enquêtes internes que pour certains collaborateurs, leur employeur se situe entre le vendeur de cigarettes et le marchand d’armes… Mais le voyage c’est pas ça. Le voyage c’est quelque chose de noble, et on a un peu tendance à l’oublier. Nous avons mis en place tout un plan pour 2023, et le SAF constitue pour moi la solution sur laquelle il faut travailler. Comme le dit notre CEO, le problème ce n’est pas le voyage, c’est le carbone. Nous avons une vraie responsabilité à pousser le SAF, c’est pour ça que nous avons monté la plateforme Avelia, et que nous en parlons à nos clients car nous avons besoin d’eux. Il n’y a pas beaucoup de SAF parce que c’est très cher. Aux Etats-Unis, ils sont déjà en train de construire des usines à SAF. C’est ce qu’il faut faire. A nous d’aider, de contribuer à lancer ce cercle vertueux. Plus il y aura de gens qui vont y souscrire, plus le SAF sera utilisé, moins il sera cher. La première étape, c’est 10% d’ici 2030, et nous sommes déjà en 2023 !

Le boom du MICE s’inscrit-il en réponse ponctuelle à l’éloignement des équipes, ou s’agit-il d’une tendance durable ? Quel peut-être l’impact de ce phénomène sur la TMC ?

Yorick Charveriat – C’est une tendance durable, et elle va permettre de compenser le business en moins lié au recours à la visio, à la fameuse utilité du déplacement. En interne chez Amex GBT, nous avons mis en place un tour de France des régions pour aller au contact des collaborateurs, on a fait venir tous les collaborateurs, les agents de voyages, des gens qui ne voyageaient pas auparavant et qui maintenant se déplacent, mais pour des raisons internes. Il s’agit de parler de la culture de l’entreprise, d’avoir le retour des équipes, de s’assurer qu’il y a un engagement de la part des collaborateurs. C’est en ce sens que je dis que l’on passe du voyage d’affaires au voyage professionnel. C’est une tendance de fond. Le MICE explose, ça va continuer, et tant mieux. Je trouve ça super de se dire que nous ne sommes pas uniquement là pour faire voyager des gens dans l’optique de gagner des contrats et plus d’argent. Nous sommes aussi là pour nous assurer que la communauté que représente l’entreprise fonctionne.

Comment envisagez-vous le recours à l’intelligence artificielle ?

Yorick Charveriat – Je pense que l’intelligence artificielle va être de plus en plus nécessaire. On l’a vu depuis la pandémie : on a beaucoup plus d’appels. Les voyageurs nous consomment différemment. Là où l’on recevait un appel pour une réservation, nous sommes contactés trois fois aujourd’hui. En période de grèves, nous passons de 3500 appels par jour à 7000. On a a besoin d’aide pour gérer ça, on a besoin de l’intelligence artificielle pour répondre à des questions des voyageurs, notamment du type : « est-ce que mon train fonctionne malgré la grève ?« . C’est typiquement le genre de questions auxquelles peut répondre l’intelligence artificielle. Je ne dis pas que l’IA va organiser tout de suite un trajet Paris-New York-Los Angeles-Tokyo-Paris, c’est technique… Mais pour des choses simples oui. Nous avons mis en place le tchat depuis deux ans maintenant, il y a une énorme progression du recours à la discussions via WhatsApp, avec d’excellents taux d’utilisation et de satisfaction. Mais c’est un tchat géré par des humains, avec une équipe dédiée. La deuxième étape consistera donc à s’appuyer sur une intelligence artificielle qui reconnaîtra la question et y répondra quand elle en est capable, ou la transférera à un agent si ce n’est pas le cas.

Doit-on s’attendre à voir Amex GBT investir dans de la croissance externe en 2023 ?

Yorick Charveriat – Tout est ouvert. Nous sommes entrés en bourse l’année dernière pour se donner les moyens de nos ambitions. A savoir investir sur nos collaborateurs, sur le dossier empreinte carbone, sur les technologies. Nous avons déjà Neo et Egencia, et je pense que nous avons les meilleurs développeurs de la place. On va investir beaucoup, car la technologie suppose d’investir tout le temps. Il ne faut pas s’arrêter. Et pourquoi pas investir des acquisitions, mais je n’ai pas la main là-dessus. Je sais que s’il y a des opportunités, il y a une cellule M&A qui étudie ça au niveau global. Pour revenir sur l’acquisition d’Egencia par exemple, le groupe n’a pas agit ainsi juste pour ajouter une marque, mais parce qu’une grosse opportunité de croissance sur le segment « unmanaged » des PME PMI a été identifiée. Et qui est le meilleur acteur sur ce segment ? Ce n’est pas Amex GBT, c’est bien Egencia, avec un outil formidable. C’est donc un rachat qui fait du sens, car nous avons une stratégie claire chez Amex GBT.

L’essor du MICE peut-il aussi vous pousser à investir, par des acquisitions ou via la division Meeting & Events ?

La division Meetings & Events d’Amex est en plein boom. On recrute beaucoup, et elle est amenée à se développer encore. Le MICE n’est plus anecdotique. Quand je suis arrivé il y a 8 ans, on en parlait très peu Je ne sais pas si on va investir là dessus, mais cela aurait sans doute du sens.